Mireille Pilotto – Chronique linguistique – janvier 2021
On prétend souvent que notre époque est marquée par l’individualisme. Paradoxalement, les médias emploient « à tour de bras » le mot communauté. Serait-ce pour se donner bonne conscience ?…
Pas vraiment, puisque cette tendance à voir des communautés partout relève encore de l’influence de l’anglais. Dans la langue de Shakespeare, community désigne tout aussi bien un quartier, un village, une ville, une région, une province, un pays ou tout regroupement humain. Voyez la vastitude de possibilités – et l’imprécision – comprises dans un seul mot !
En français, le flottement de sens est déplorable et irritant. Dans la langue courante, communauté signifie typiquement un regroupement de personnes ayant des liens étroits spécifiques. C’est donc dire qu’une communauté suppose parmi ses membres une certaine homogénéité de connaissances, de particularités, de pensées, d’usages, de réalisations, de sentiments, de valeurs, etc.
Par conséquent, il est exact de parler de communautés religieuses, culturelles ou autochtones, car la communauté évoque une notion d’appartenance, parfois même d’identité ou de forte solidarité. Or, ces caractéristiques ne s’appliquent pas nécessairement ou absolument à un quartier et encore moins à une ville ou à une région. En effet, partager un lieu de vie n’implique pas d’avoir les mêmes opinions et intérêts, n’est-ce pas ?
Alors, un incendie a semé l’émoi dans la communauté ? Non, il a semé l’émoi dans la rue, le voisinage, le quartier, la ville, la région, etc., selon le cas. La Ville veut offrir davantage de services à la communauté ? Plutôt aux citoyens, à la collectivité ou à la population. Autres exemples fréquents dans les médias : la communauté des affaires : le monde des affaires, les gens d’affaires ; la communauté artistique : les artistes, le milieu des artistes ; l’intégration dans la communauté : dans la société; la communauté anglophone du Québec : les anglophones ou les groupes anglophones du Québec ou les Anglo-Québécois.
Comme on le constate, le mot communauté peut être omis sans rien enlever au sens, au contraire, celui-ci devient plus clair ! Il suffit d’employer le mot qui cerne au plus près la réalité dont on parle. De même, dans les contextes où on traite du cadre de vie local – milieu scolaire, quartier, municipalité, etc., le terme communauté peut avantageusement être remplacé par collectivité. Ce terme signifie le plus souvent un groupe de personnes ayant en commun une proximité d’habitat ou un partage d’intérêts. Ainsi, une collectivité comporte des liens moins serrés et plus diversifiés qu’une communauté, ce qui permet de distinguer ces deux mots dans leur emploi. Amusez-vous à faire cette permutation dans les textes médiatiques, vous verrez…
Flou involontaire ou inflation verbale, la manie d’ajouter des mots amples et indistincts pour gonfler la phrase n’est pas heureuse ni recommandable. Viser la cible, aller droit au but, utiliser des mots précis sans « s’enfarger dans les fleurs du tapis » : c’est la grâce que je souhaite à toute la communauté des… oups ! à tous les lecteurs et lectrices de la Gazette. Bonne année !
Sources
- André Racicot, blogue Au cœur du français, « Communauté : de quoi parle-t-on? » : https://andreracicot.ca/communaute/ + « Comment remplacer “communauté” ? » : https://andreracicot.ca/remplacer-communaute/.
- Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique, « Collectivité, communauté et société » : http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?t1=1&id=4594.
- Multidictionnaire de la langue française, Marie-Éva de Villers, Québec Amérique, 2015.
Usito, dictionnaire québécois en ligne : https://usito.usherbrooke.ca/d%C3%A9finitions/communaut%C3%A9.