Par Carol-Ann Rouillard, mai 2018
À force d’entendre parler des différents troubles de santé mentale, nous avons commencé à les utiliser dans différents contextes pour parler de différentes choses.
Je ne ferai pas comme à l’habitude. À l’approche de la Semaine nationale de la santé mentale, je pourrais vous parler de maladie mentale. Je pourrais vous sensibiliser aux difficultés vécues par les personnes atteintes de troubles de santé mentale et leur entourage ou de l’importance de laisser de côté nos préjugés. Mais je ne le ferai pas.
Je vais plutôt vous parler de mon voisin parano, de ma cousine qui cumule les tocs (troubles obsessionnels compulsifs) parce qu’elle aime que tout soit rangé à un endroit précis. Je vais aussi vous parler de musique schizophrène, de foule hystérique, de l’équipe sportive bipolaire qui connait une performance en dents de scie.
Je vais aussi vous parler de vous et moi. Des occasions où nous discutons de maladie mentale de façon courante : lorsque nous qualifions des personnes qui n’ont pas reçu de diagnostic (comme mon voisin ou ma cousine), des groupes (est-ce que tous les membres d’une foule ou d’une équipe, peuvent vraiment être atteints du même trouble de santé mentale ?) ou des objets (comme la musique).
On en connait beaucoup plus sur les différents troubles de santé mentale qu’autrefois et sur le vécu des personnes qui souffrent de ces troubles. Nous en entendons parler dans les différentes campagnes de sensibilisation ou aux nouvelles. Les termes utilisés pour en parler, qui sont issus du discours scientifique, ont ainsi fait leur entrée dans le discours courant.
Les cas cités plus haut sont réels. On en trouve des exemples partout. Vous avez déjà utilisé ces termes, vous les avez déjà entendus ou vous les avez déjà lus. Ils ont perdu leur sens scientifique ou médical pour prendre un sens autre, un sens « courant ».
À force d’entendre parler des différents troubles de santé mentale, nous avons commencé à les utiliser dans différents contextes pour parler de différentes choses. Ce phénomène se nomme l’appropriation sémantique. La langue française fourmille de cas semblables où le sens des mots évolue au fil du temps et des usages.
Il est donc compréhensible que le sens que nous donnions aux désignations de la maladie mentale ne soit pas toujours celui des psychiatres. Si les scientifiques ont créé tout un système pour nommer et catégoriser leur perception de l’anormalité humaine, on peut dire que l’usage courant des termes relatifs à la psychiatrie est déterminé par la perception que nous, les non-psychiatres, avons de l’anormalité au sein de notre système social. D’ailleurs, classer ce qui est normal et ce qui ne l’est pas répond à un besoin social (parlez-en à Michel Foucault).
Dans le cadre de la Semaine de la santé mentale, j’ai choisi de vous parler d’évolution linguistique plutôt que de maladie mentale. J’aurais pu vous entretenir au sujet des préjugés dont sont trop souvent victimes les personnes atteintes de troubles de santé mentale ou des perceptions négatives qu’elles entretiennent à l’égard d’elles-mêmes et de leur maladie.
J’ai préféré aborder notre façon de trahir nos préjugés, sans le savoir, sans y penser. Du fait que l’on n’aime pas la trop grande rigidité de la personne qui a des TOCS, que l’on craint l’instabilité de la personne bipolaire ou schizophrène. De la façon dont on parle de la foule hystérique qui témoigne de notre peur devant l’inconnu de ces maladies qui frappent sans trop que l’on s’y attende.
J’ai choisi de vous parler de l’impact des mots.