Lettre ouverte à M. Nabil Warda, promoteur qui souhaite mettre sur pied un projet immobilier pour musulmans en Montérégie
Par Jocelyne Harnois, décembre 2016
M. Warda, ma valeur primordiale étant la liberté, je ne veux pas, par la présente, lutter contre votre projet, je veux plutôt militer pour une plus grande fraternité d’idées et de valeurs entre vous et moi. En d’autres mots, je veux regarder les grandes vérités qui nous unissent plutôt que les crédos qui nous divisent.
Par sa nature même, votre projet m’oblige à réfléchir sur les valeurs d’entraide et de solidarité qui me tiennent à cœur et qui, je crois, tiennent aussi à cœur à de nombreux Québécois de toutes origines. J’ai personnellement travaillé à la mise en projet d’un éco-quartier multigénérationnel où on privilégiait comme vous des valeurs communautaires et solidaires.
Le principe économique coranique de prêt sans intérêt est en réalité un grand principe humaniste de fraternité et de solidarité que j’aimerais voir se répandre dans notre société. Pourquoi alors ne pas faire de votre projet à caractère confessionnel un simple projet humaniste inclusif? Comme dit le Coran, la ikrâha fi Din : « Il n’y a pas de contrainte en religion! Le seul véritable maître est intérieur.» Serait-ce M. Warda, que les pratiquants musulmans présument implicitement que tous les Québécois non musulmans ne pourraient être inspirés par leur maître intérieur?
Dans son vibrant Plaidoyer pour la fraternité, Abdennour Bidar, philosophe musulman, veut nous sensibiliser à une urgence « urgente » en tant qu’humains : celle d’œuvrer maintenant et tous ensemble à quelque chose de très simple, de très beau et de très difficile à la fois, la fraternité humaine dans la Cité. La fraternité tout court, et pas seulement la fraternité de telle appartenance raciale ou de telle religion.
M. Warda, c’est délibérément que je ne vous sors pas ici l’argument des outils législatifs ou ministériels susceptibles d’arrêter votre projet. À cet égard, les autorités provinciales ont déjà pris position. En tant qu’humaniste, sensible à votre liberté, j’aimerais plutôt que nous réfléchissions ensemble sur notre fraternité commune.
M. Warda, je crois qu’il nous incombe à vous comme à moi une responsabilité collective et un but commun de créer une société québécoise et humaine qui réunit ceux qui croient au ciel, ceux qui croient à tel ou tel ciel et ceux qui ne croient pas. À mon avis, votre projet de quartier musulman qui, sans l’ombre d’un doute, tire son origine de bonnes intentions, vient faire un accroc important dans l’atteinte de ce but commun.
Je ne sais à peu près rien de vous, mais, dans un élan de confiance fraternelle, je suppose volontiers que vos intentions sont bonnes et que, selon vos propres paroles, elles ne visent qu’à permettre à des gens d’accéder plus facilement à des propriétés selon les codes économiques coraniques. Sur ce point, je vous suis parfaitement.
En revanche, ma solidarité bien fraternelle face à vos intentions se trouble lorsque vous affirmez de façon absolue et totale : « Je ne veux pas une communauté où on va avoir des gens saouls qui conduisent et qui tuent des gens. Dans l’islam, l’alcool est interdit. Mais je n’ai pas l’intention d’imposer mes valeurs!» Je vis dans un quartier bien typiquement québécois depuis 30 ans, et je n’ai personnellement jamais eu dans mon quartier des gens saouls qui conduisent et tuent des gens.
Ma solidarité fraternelle se trouble encore lorsque, répondant à Michèle Ouimet de La Presse que vous invitez à la réunion d’information au Centre communautaire islamique de Brossard ouverte, dites-vous à tout public intéressé : – …tant que vous enlevez vos souliers, que vous avez la tête couverte et pas de manches courtes. Serait-ce que vous présumez que madame Ouimet pourrait se présenter à la réunion vêtue de manière indécente?
Comme beaucoup de Québécois, j’ai été élevée selon les préceptes de la religion chrétienne et, dès que j’ai été en âge de réfléchir par moi-même, je me suis délestée du caractère totalitaire de l’emprise de la religion sur ma conscience. Cependant, j’ai fait miennes les valeurs chrétiennes d’amour et de fraternité. Ce dont je me suis délestée, c’est le tout ou rien. J’ai appris à me méfier d’une religion totale, car il n’y a qu’un pas entre le total et le totalitaire.
M. Warda, créons ensemble du commun, c’est-à-dire des valeurs partageables entre frères humains. Pour vous, comme pour moi, c’est très difficile, car cette quête est très récente dans l’histoire de l’humanité. Tout est à construire. Pourquoi ne le ferions-nous pas ensemble?