L’animatrice de Racines mauriciennes, Valérie Deschamps, nous propose de l’accompagner à travers son périple en Mauricie alors qu’elle va à la rencontre de Pierre, Louise, Simone et bien d’autres personnes aînées de notre territoire à la recherche des histoires fascinantes du monde ordinaire; ces histoires qui au fil du temps ont tricoté notre identité collective régionale.
Cette série est produite par La Gazette de la Mauricie et présentée par la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie. Elle est aussi rendue possible grâce à la contribution du Gouvernement du Québec et de son programme Québec ami des aînés.
Nos mères et nos grands-mères ont toutes déjà été propriétaires d’une machine à coudre. Ça faisait partie du trousseau, comme on le dit si bien. À Trois-Rivières, pendant 70 ans, c’est chez Hamel et Fils Machines à coudre qu’on se rendait pour prendre soin de notre toute belle à fil et aiguille. En 2020, Normand Hamel, fils de Marcel Hamel, fondateur de cette entreprise trifluvienne, a accroché ses derniers outils de réparation. Cet épisode de Racines mauriciennes raconte cette histoire de passion transmise de père en fils.
Les rayons du soleil font discrètement leur entrée dans le salon bien enjolivé de nature de Normand. Assise confortablement, je remarque des œuvres à caractère historique trônant sur le mur près de l’entrée principale. Normand, c’est un vrai Trifluvien. Natif de la région, il a appris les rudiments du métier de commerçant et de réparateur de machine à coudre auprès de son père Marcel. Le chemin professionnel de son paternel a commencé par un passage chez le bijoutier A.J. Bergeron sur la rue des Forges, suivi par un autre chez Walter Bibeau, spécialiste de la machine à coudre, qui l’engagea avant de faire le saut au magasin Pollack. « Au début, mon père n’aimait pas vraiment ça, travailler la machine à coudre. C’était beaucoup plus petit que les mécanismes à la bijouterie ». Rien ne laissait présager à l’époque que l’homme allait partir sa propre entreprise en la matière, « mais au fil des années, il s’y est fait et il a œuvré dans la machine à coudre toute sa vie », raconte Normand.
C’est dans les années 1950 que le projet vit le jour, à même la résidence familiale. « Un des plus vieux souvenirs que j’ai c’est que je suis assis à côté de mon père, sur l’établi. J’ai peut-être 3 ou 4 ans. Il me donnait un tournevis et je bizounais dans la machine. J’ai toujours été dans ce domaine-là, d’une certaine façon ». Bizouner et patenter les mécanismes de machine à coudre, ce fut effectivement le quotidien de Normand pendant plusieurs décennies. Bien qu’il ait toujours donné un petit coup de pouce à son père, le tout commence réellement à l’âge de 16 ans alors qu’il livre sa première machine. « Je m’occupais surtout de la livraison. Je me souviens de ma toute première livraison. C’était sur la Rive Sud. Je pars seul, passe le pont Laviolette avec le camion. Je vais porter la machine à coudre et son meuble chez la dame. La dame avait pris la peine d’appeler mon père après ma livraison pour dire que le jeune homme que j’étais était très poli, bien élevé, et tout. J’étais très fier de ça ! », se rappelle le Trifluvien. D’ailleurs, elles furent des milliers à être satisfaites par le travail des Hamel dans l’histoire de l’entreprise. Leurs machines à coudre étaient assurément entre bonnes mains !
Bien que le magasin soit resté plus ou moins dans le même quartier de Trois-Rivières, l’entreprise a dû déménager ses locaux à quelques reprises. L’avènement de l’autoroute ainsi que non pas un, ni deux, mais bien trois incendies sont derrière le déménagement du magasin. C’est comme ça, de fil en aiguille, que le quartier Saint-Jean-Baptiste-Lasalle, la rue Saint-Maurice près du Cinéma Paris et la rue Champflour devant la gare ont vu l’entreprise accueillir sa plus fidèle clientèle. Difficile coup pour les Hamel, mais « il faut bien gagner sa vie et j’aimais bien mon métier ! Tu sais, c’est ton bébé à toi. La motivation est là. T’as pas le choix ! »
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En plus de contribuer à l’économie locale, Normand a vu évoluer le monde de la couture. L’arrivée du prêt-à-porter comme le retour de l’artisanat ont touché l’entreprise. « Ce n’est plus une chose de grand-mère, comme ce l’était à une époque. Les jeunes filles, comme toi Valérie, se remettent à la couture. Toutes ces choses-là redeviennent à la mode ». Je vous avouerais que les talents de couturière ne sont pas mes plus grands talents !
À l’entendre parler des changements dans les habitudes de consommation vestimentaire, on voit que l’homme est un véritable passionné de son métier. Il va sans dire que de devoir mettre la clé à la porte fut une décision « très très très difficile à prendre. C’était déchirant. Ç’a été très long avant que je prenne cette décision-là. Quand tu passes ta vie dans le commerce du détail à travailler 6 jours par semaine, à un moment donné, ça devient lourd. »
Tout ce temps près des gens lui a permis de briller dans la société trifluvienne, de vivre sa passion d’être au service des citoyens. Aujourd’hui, l’homme est toujours habité par la flamme, mais se permet un retour à ses premiers amours qui ne l’ont jamais quitté : la nature et la guitare. C’est d’ailleurs sur quelques notes grattées et improvisées à la guitare sèche qu’on s’est laissés. Bercé par cette mélodie, Normand met fin à son tour d’horizon de l’histoire de la couture contemporaine et tourne une page de sa propre vie en Trifluvie.