Jean-Claude Landry, juin 2015
Collaboration spéciale : Jean-Michel Landry
À Trois-Rivières, nos élus songent à réduire (de 16 à 13) le nombre de conseillers municipaux. En Mauricie, on se mobilise pour éviter que la circonscription de Saint-Maurice ne soit rayée de la carte électorale. Partout au Québec, les conseils des commissaires scolaires vivent leurs derniers moments, le ministre de l’Éducation ayant récemment scellé leur sort. Notre appareil démocratique ratatine. Et cela contribue au désintéressement pour la chose politique.
Cette cure minceur, nous dit-on, répond à des soucis de « saine gestion » : souci d’efficacité au conseil municipal; équité de représentation électorale dans Saint-Maurice; rigueur budgétaire dans les commissions scolaires. Ces préoccupations ne sont pas sans fondements, mais elles masquent un fait essentiel : affaiblir les leviers démocratiques locaux a pour effet d’accroitre la distance qui sépare les citoyens des décideurs. Cette distance réduit notre pouvoir sur les élus. Elle nourrit également un désintéressement généralisé envers les affaires publiques.
Ce désintéressement inquiète pourtant la classe politique, de même que les leaders d’opinion. En témoigne l’apparition de « clips » publicitaires nous incitant à aller voter. Mais gageons qu’acheter du temps d’antenne ne suffira pas à renverser la vapeur. Car au-delà des encouragements à voter, relancer la participation démocratique exige de revivifier nos lieux de pouvoir locaux.
L’exemple des commissions scolaires est éloquent : en 1972, le Québec comptait 284 commissions scolaires; environ un électeur sur cinq y exerçait alors son droit de vote. Ces 284 lieux de concertation, devenus au fil des fusions et regroupements 84 commissions scolaires peinent aujourd’hui à convaincre un électeur sur 20 d’aller voter. Cette diminution de 70 % du nombre de commissions scolaires s’est donc traduite par une chute de 400 % du taux de participation démocratique.
Un phénomène semblable s’est produit dans le réseau de la santé, où les citoyens étaient appelés à élire des représentants sur les conseils d’administration des différents établissements. Avec les fusions à répétition des établissements locaux pour en faire ce qui est devenu aujourd’hui un méga établissement régional, la place des citoyens dans les lieux de décision du réseau comme le nombre de participants aux scrutins d’établissement ont fondu comme neige au soleil.
Le palier municipal n’a pas échappé à cette tendance. Les fusions municipales, réalisées au nom d’une meilleure efficacité de gestion, ont réduit drastiquement le nombre d’élus au sein des conseils municipaux. En Mauricie, les conseils municipaux de Trois-Rivières, Shawinigan et La Tuque ont absorbé 13 autres conseils à la suite des fusions de 2002. Pour la seule ville de Trois-Rivières, on est passé de 64 à 16 élus. La recherche d’efficacité, justifiée ou non, a un prix, celui d’une moins grande proximité entre le citoyen et son représentant élu.
Même l’Assemblée nationale est touchée par le phénomène. En 1980, alors que 122 députés y siégeaient, un élu représentait environ 53 000 citoyens. Aujourd’hui, elle compte 125 députés, mais le ratio citoyens-élu est passé à 66 000. Pas question d’augmenter le nombre de circonscriptions pour maintenir le ratio d’alors. Au contraire, à des fins d’équité, on préfère en abolir certaines pour en créer d’autres ailleurs dans des zones plus populeuses, même si cela se traduit par une perte de représentativité pour les citoyens des circonscriptions moins populeuses.
Tout semble se mettre en place pour que, au nom de la « bonne gouvernance » les affaires publiques soient gérées par des experts avec, au nom de l’efficacité, le minimum de débats et la plus petite participation possible des citoyens. Tout cela contribue à l’érosion de la confiance des citoyens envers leurs institutions. Alors qu’une adhésion véritable aux institutions démocratiques passe par la participation politique effective du plus grand nombre.
La démocratie est une construction sans fin. La quête d’une vitalité démocratique retrouvée et d’un intérêt citoyen renouvelé pour « le politique » constitue un enjeu de société incontournable. Dans un contexte où s’additionnent les décrets d’abolition des instances de pouvoir locales (les CRE, les CLD, les commissions scolaires), il devient impérieux d’amorcer une réflexion collective sur cet enjeu. En commençant peut-être par l’analyse du lien potentiel entre la disparition ou l’effritement graduel des lieux de pouvoir locaux et le désintérêt des citoyens.