Daniel Landry, Comité de Solidarité/Trois-Rivières, avril 2019
Des pays de tous les continents sont actuellement frappés par une vague populiste. À droite comme à gauche, on dénonce cette manière de faire de la politique. On accuse son adversaire d’être plus populiste que soi, comme s’il s’agissait d’une tare. Être populiste, ce serait faire une politique moins noble, mais surtout plus dangereuse. Est-ce le cas? Le terme est-il trop connoté négativement?
Depuis le début de la décennie, de nombreux pays ont élu des gouvernements qu’on qualifie de populistes. La liste n’est pas exhaustive, mais pensons à Orbán en Hongrie (2010), Zeman en République Tchèque (2013), Tsípras en Grèce (2015), Duterte aux Philippines (2016), Trump aux États-Unis (2016), Conte en Italie (2018), Bolsonaro au Brésil (2018). Ailleurs, les partis populistes ne prennent pas nécessairement le pouvoir, mais réussissent à occuper une place considérable dans l’arène politique. Selon nos valeurs, on applaudit les actions de certains et on dénonce celles des autres. Mais comment reconnaître les populistes? Ciblons trois caractéristiques.
La première concerne le discours politique (parfois de droite, parfois de gauche) qui s’adresse aux classes populaires. Il se veut pragmatique et simple, lié à la résolution de problèmes concrets et à court terme. Par exemple, on peut accuser Trump de tous les maux, mais on doit reconnaître que son message cible des préoccupations très terre-à-terre et actuelles. Son « America First » ou « Make America Great Again » fait notamment référence au désir de plusieurs Étasuniens de retrouver un niveau de vie équivalent à celui d’avant la crise de 2008. Que le remède ne soit pas approprié (construction d’un mur, ouverture de l’ALÉNA) importe peu; ce qui compte, c’est l’acuité du diagnostic (détérioration du niveau de vie). Les boucs émissaires sont tantôt les immigrants, tantôt les investisseurs étrangers.
Cela mène d’ailleurs à la deuxième caractéristique, soit celle de se construire dans la dichotomie, par une opposition à un autre. Le populisme n’est possible que s’il y a un « nous » et un « eux ». À droite, « eux », ce sont les immigrants, les étrangers ou encore les défenseurs d’une planète mondialisée et multiculturelle. Résister face à eux, c’est protéger ses traditions, son patrimoine, ses valeurs. À gauche, « eux », ce sont les grands pouvoirs de Wall Street et des multinationales, les représentants du 1 %. Résister face à eux, c’est défendre les plus vulnérables contre les exploiteurs. Pourtant, à gauche comme à droite, on se rejoint dans l’accusation portée envers l’establishment, responsable de n’avoir rien fait depuis des années, d’avoir laissé la situation se détériorer. D’où la nécessité de donner un grand coup de barre.
La troisième caractéristique concerne l’aspect stratégique du populisme. Être populiste, ce n’est pas défendre une idée ou une idéologie particulière. Pour preuve, on retrouve des populistes aux deux extrémités de l’échiquier idéologique, de Sanders à Trump, de QS au PPC de Maxime Bernier. Être populiste, c’est plutôt user d’un discours, de techniques et d’approches qui permettent de rejoindre le plus grand nombre, particulièrement en période de crise (politique, économique, sociale). Plus la légitimité des pouvoirs en place est remise en question, plus le populisme risque de prendre racines. Qui plus est, dans un tel contexte, le politicien charismatique qui présente une alternative sous forme d’action radicale peut être carrément perçu comme le nouveau Messie.
Revenons à notre question initiale. Le terme est-il trop connoté négativement? Dans un essai publié en 2018, la philosophe belge Chantal Mouffe, loin de diaboliser le populisme, affirmait plutôt que la gauche en Occident devait utiliser cette stratégie pour se redéfinir. Elle faisait notamment référence à La France insoumise de Mélanchon ou à Podemos en Espagne qui, à ses yeux, incarnent l’avenir de la gauche. Dans les deux cas, ils répondent, au moins partiellement, à la définition formelle du courant (pragmatique, dichotomique et stratégique). Adhérer à la pensée de Mouffe, c’est croire que seule la stratégie populiste peut susciter une adhésion assez forte pour lutter efficacement contre les excès du capitalisme néolibéral. En ce sens, vu la tendance à la déresponsabilisation de l’État depuis les années 1980 et vu l’immense fossé qui s’accentue entre riches et pauvres depuis quatre décennies, l’idée n’est pas si saugrenue. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que la période actuelle se prête à la montée de telles mouvances. Pour le meilleur ou pour le pire.
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