À l’issue de ses travaux, en cours depuis près d’un an, la commission du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) chargée de l’enquête sur L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes a rendu public mardi un volumineux rapport de 623 pages.
Les conclusions des commissaires Pierre Renaud, Julie Forget et Joseph Zayed sont accompagnées de onze orientations stratégiques pour guider le gouvernement dans une prise de décision éclairée pour la gestion des matières résiduelles au Québec. En tête de liste, un changement d’approche structurelle misant sur l’économie circulaire comme modèle prioritaire et sur une révision en profondeur de nos modes de consommation.
« Le résidu ultime est celui qui se trouve à la toute fin du cycle de tri, de récupération et de mise en valeur des matières résiduelles. Cette notion de résidu ultime est évolutive et peut changer au gré des mesures qui seront mises en place pour détourner les matières résiduelles de l’élimination. » – Rapport d’enquête et d’audience publique sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes.
La réduction à la source et le réemploi : «les maillons faibles»
Lors de ses travaux, la commission a observé qu’une majorité de participants aux audiences publiques était d’avis que la réduction à la source et le réemploi sont les maillons faibles de la gestion des matières résiduelles au Québec. Ces deux étapes devraient pourtant être considérées comme prioritaires selon la hiérarchie des 3RV-E qui signifie dans l’ordre : Réduction à la source, Réemploi, Recyclage, Valorisation et Élimination.
Pour la commission, l’adoption de mesures visant la réduction à la source des matières produites aurait « une résonance particulière sur l’exploitation des ressources naturelles et plus largement sur l’érosion du patrimoine écologique. » Les défis dans la gestion des matières résiduelles « ne se résoudront pas à coup de technologies » a expliqué Joseph Zayed, président de la commission, en conférence de presse. « La technologie arrive à la fin de la hiérarchie des 3RV-E. Nous avons actuellement des problèmes d’enfouissement parce qu’on n’a pas mis suffisamment d’efforts en amont, notamment sur la réduction à la source et le réemploi. »
Parmi les mesures que le BAPE propose pour améliorer les deux premiers « R », on retrouve la fixation d’objectifs de réduction à la source des contenants, emballages, journaux et imprimés, un déploiement de programmes de Responsabilité élargie des producteurs ainsi qu’un étiquetage environnemental des produits d’emballage dans le but d’aider les consommateurs à faire des choix plus durables. Certaines sollicitations publicitaires de produits qui génèrent beaucoup de déchets devraient être interdites. La mise en marché de certains produits pourrait même être bannie. Le gouvernement devrait également soutenir l’offre de services de réparation pour permettre d’allonger la durée de vie des objets.
La commission suggère aussi à RECYC-QUÉBEC de recentrer ses messages au public, non plus sur les bons gestes de recyclage, mais sur la consommation responsable afin de suivre la hiérarchie des 3RV-E.
Un nouveau modèle économique
Au cours de son analyse, la commission du BAPE s’est rendue à l’évidence que « vouloir transformer la gestion des matières résiduelles revient à devoir transformer notre société », puisque celle-ci se définit actuellement par la consommation.
Le BAPE est d’avis que le gouvernement québécois devrait orienter son économie vers un modèle circulaire, qui « rompt avec la logique économique linéaire prévalente qui se résume par l’extraction, la fabrication, la consommation puis le rejet. » L’économie circulaire privilégie plutôt l’optimisation des ressources en utilisant des intrants qui sont déjà produits et en limitant le recours à de nouvelles matières premières. Actuellement, le Québec accuse un important retard en matière de « circularité » de l’économie qui ne serait que de 3,5 %.
Les commissaires estiment également qu’une réévaluation en profondeur de nos modes de consommation est nécessaire. Selon eux, les efforts déployés jusqu’à présent afin de rendre notre consommation plus responsable ne questionnent pas suffisamment la commodité et le rythme des achats. L’économie de partage, l’économie de seconde main et la mutualisation des équipements doivent jouer un rôle dans la transformation de nos modes de consommation pour réduire la production d’objets qui se retrouvent ultimement à l’enfouissement.
Si le gouvernement adoptait une approche stratégique nationale d’économie circulaire telle que le suggère la commission du BAPE, « cela marquerait évidemment une rupture avec l’économie de croissance classique, mais (cela) aurait l’avantage de participer à l’atteinte de plusieurs de ses objectifs de développement durable. »
Un gouvernement qui nourrit une obsession pour la croissance serait-il prêt à transformer ainsi son système économique ? Selon Joseph Zayed, le Québec doit « absolument » innover et plusieurs démarches, telles que le droit à la réparation et la lutte à l’obsolescence programmée, doivent être mises en œuvre au plus vite. « L’économie circulaire est une opportunité d’innovation économique », assure-t-il.
Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charrette, soutient que les conclusions du rapport du BAPE guideront la suite des actions gouvernementales. « Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère où la responsabilisation de tous les acteurs du domaine et le dynamisme économique devront agir de concert pour l’atteinte de nos objectifs en faveur d’une société sans gaspillage », a-t-il exprimé par voie de communiqué.
Modeste participation de la Mauricie
Dans le cadre de cette vaste consultation de portée nationale, 189 citoyens, municipalités et organismes de la province ont fait valoir leurs points de vue à travers le dépôt d’un mémoire. Quatre mémoires de la région figurent dans la liste.
Christiane Bernier, une participante, s’est dite « préoccupée par les tonnes de déchets qui s’accumulent comme si les sites avaient une capacité à l’infini » et souligne que « le meilleur déchet est le déchet qui n’existe pas. »
Environnement Mauricie a fait ressortir le fait que les gouvernements se fixent des cibles qu’ils n’atteignent pas, ce qui les discrédite aux yeux de la population. L’organisme a aussi souligné le paradoxe de la structure de financement de l’élimination, basée sur le tonnage accueilli par le lieu d’enfouissement, qui minimise les efforts de réduction. Il a mis en lumière le manque d’accès aux écocentres pour les industries, commerces et institutions ainsi que la distance importante que doivent parcourir les matières en provenance de La Tuque qui sont enfouies à Saint-Étienne-des-Grès (302 km aller-retour).
L’Association des organismes municipaux de gestion des matières résiduelles, basée à Trois-Rivières, est d’avis que la biométhanisation, soit la production de gaz naturel à partir des déchets, « ne constitue pas pour les régions du Québec, autres que métropolitaines, une option optimale (…), le compostage étant généralement une option beaucoup plus appropriée, considérant les volumes et types de matières générées sur ces territoires. »
Enfin, Ginette Charbonneau, Sébastien Bois et Philippe Giroul estiment que les déchets radioactifs devraient être considérés comme des résidus ultimes et qu’ils devraient être pris en considération dans les politiques gouvernementales de gestion des matières résiduelles afin d’en assurer une gestion sécuritaire.
Plusieurs grandes villes comme Sherbrooke, Lévis, Québec et Montréal ainsi qu’une dizaine de MRC de la province ont exprimé leur opinion dans le cadre de cette commission du BAPE. Toutefois, aucune entité municipale de la région de la Mauricie n’a présenté de mémoire.
Ce rapport du BAPE est publié quelques jours avant la tenue par Enercycle (l’ancienne Régie régionale de gestion des matières résiduelles de la Mauricie) d’une consultation régionale sur son Plan conjoint de gestion des matières résiduelles (PCGMR). Selon Sylvie Gamache, conseillère en communications chez Enercycle, « la réduction de la quantité de matières qui sont acheminées à l’enfouissement doit être réfléchie en amont. Il faut que l’on prenne du recul pour savoir quoi faire de ces matières au moment où on les génère. Il y a une réflexion de fond à y avoir. À cet égard, l’exercice qui a été réalisé par le BAPE est très important », estime-t-elle.
Le mandat sur l’état et la gestion des résidus ultimes a été confié au BAPE l’an dernier par le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, M. Benoit Charette, qui jugeait nécessaire d’effectuer une réflexion approfondie sur la disposition des résidus ultimes sur l’ensemble du territoire québécois. Un tel processus d’enquête, de consultation et d’analyse concernant les matières résiduelles n’avait pas été réalisé depuis 1996.