Marc-André Maranda, Ex-directeur du programme de santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, janvier 2017
À plusieurs égards, l’actuelle réforme du réseau de la santé et des services sociaux est en profonde rupture avec l’évolution qu’a connue le Québec dans ce domaine depuis près de cinquante ans. Elle est même en forte contradiction avec les principes énoncés à l’article 2 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux que, manifestement, le ministre Barrette n’a pas lu ou n’a tout simplement pas compris.
Une question se pose : cette réforme met-elle en place les conditions susceptibles d’améliorer l’accès, la qualité et la continuité des soins et des services à la population ? Le porteur du discours gouvernemental affirme que oui. Les principaux acteurs de ce réseau ainsi que la plupart des analystes pensent toutefois le contraire. En attendant les statistiques qui viendront infirmer ou confirmer les résultats, les changements entrepris au niveau de l’organisation générale des services apportent de sérieux motifs d’inquiétude.
En premier lieu, les organisations issues de l’entreprise de fusion et de reconfiguration, de par leur taille tout autant que par le type de gestion qu’on y pratique, sont devenues d’énormes machines. La recherche d’efficience en constitue l’impératif premier, reléguant loin derrière la réponse aux personnes qui ont besoin de soins, de services, d’aide et de soutien. Plus particulièrement en région, la complexité des structures et l’éparpillement des infrastructures viennent amplifier la perte de contrôle sur les ressources de la communauté et accentuer la démobilisation des intervenantes et des intervenants qui y œuvrent.
Deuxièmement, la très forte centralisation du pouvoir aux mains du ministre décourage l’initiative et favorise des mesures uniformes non respectueuses des communautés locales. Une telle concentration des décisions permet d’imposer une vision médico-centriste qu’on croyait pourtant révolue inspirée des modèles privés américains, et ce, même si l’exemple des systèmes à dominance publique des pays scandinaves, de loin plus performants et égalitaires, est largement plus convaincant.
Enfin, les lourdes compressions budgétaires appliquées à de larges secteurs du réseau sont présentées comme des économies alors qu’il s’agit, dans la majorité des cas, de désinvestissements dans la prévention et dans les services à des groupes de population plus vulnérables. Plutôt que des améliorations, on pose des embûches à l’accès et à la qualité des services ainsi qu’à la disponibilité des ressources.
Face à cette réforme, il n’existe désormais aucune autre option que celle de redonner une voix, une place et l’exercice de responsabilités, au sein d’organisations locales à dimension humaine, à des personnes repré- sentant la population civile, la population qui utilise les services ainsi que leurs collectivités.