Les lecteurs et les lectrices francophones ont maintenant la chance de se délecter de l’abrasif roman Rouge de Mona Awad. Sorti chez Québec Amérique, la traduction française, qui porte le même titre, nous ouvre un monde secret, quelque part entre une publicité de cosmétiques acides et un culte de la beauté mortifère.
Sur le thème universel de l’amour mère-fille, Awad livre ici un récit fantasmagorique et glauque. Mirabelle Nour part de Montréal et se rend en Californie afin de régler les obsèques de sa mère qui vient de mourir. Cette dernière, Noëlle Desjardins, était une femme exaltée et pétillante, caractérisée par sa beauté remarquable : cheveux roux, peau blanche, yeux bleus. Elle était au fond tout ce que Mirabelle n’est pas, elle qui est née d’un père égyptien, taraudée par cet exotisme qui fait qu’elle ne correspond pas, comme elle aimerait le faire, à des standards de beauté classique.
À mesure que Mirabelle côtoie les amis et les amants de sa mère, elle se rend compte que l’état mental de celle-ci s’était détérioré. De plus en plus insensée et confuse, jusqu’à ce qu’elle tombe d’une falaise, Noëlle n’était plus la même. Ce constat amènera sa fille à chercher, et à trouver, les dernières influences qui ont marqué sa vie et qui sont liées à un spa somptueux aux apparences magiques. C’est dans cet endroit appelé la Maison de Méduse, où coexistent le rouge et le noir, que, peu à peu, la beauté transforme Mirabelle et que celle-ci s’enfonce dans le chemin où sa mère a perdu la raison.
Un roman d’atmosphère

Photo : Alexis Lambert / © La Gazette de la Mauricie et des environs
Bien qu’intéressante, la trame narrative est surtout un véhicule pour quelque chose de plus, c’est-à-dire une atmosphère suffocante, qu’on ressent jusque dans les pores de la peau. Dès les premières pages, on comprend que Mirabelle est obsédée par les soins faciaux. Chaque jour s’enchaînent des rituels de beauté interminables et fantasques, où les produits sont plus extravagants les uns que les autres. Des crèmes et des sérums, des brumes et des onguents avec lesquelles Mirabelle se frotte à l’excès, sous les paroles bienveillantes de sa seule amie, une spécialiste de la peau qui fait office de gourou.
Au fur et à mesure que les soins de beauté se multiplient, l’identité de Mirabelle commence à se fragmenter. Cette fragmentation s’immisce dans ses souvenirs mais aussi dans le langage lui-même. Mirabelle devient une narratrice entre deux mondes. Des lapsus s’infiltrent dans son discours, parfois annoncés, parfois non. La confusion du personnage devient insidieusement la nôtre et on ne sait plus départager le vrai du faux dans cette histoire qui a l’allure d’un rêve devenu cauchemar.
C’est un excellent roman que Mona Awad nous offre ici, dans une langue qui donne froid dans le dos. Réflexion symbolique sur la beauté, mais aussi sur l’intensité de ce que nous sommes prêt-es à faire pour l’obtenir. Un monde d’éclats qui se révèle à nous à travers les souvenirs d’une relation obscure entre une mère et sa fille, mené par des êtres qui semblent venir d’une autre dimension, mais avec des traits de la nôtre.