François Bellemare, Opinion des lecteurs, mars 2021 Dans La Gazette de la Mauricie, édition février 2021, M. Alain Dumas, dans sa chronique économie intitulée L’économie du ruissellement: une théorie zombie, explique brillamment comment les baisses d’impôt consenties aux mieux nantis ruissellent toujours vers le haut des échelles sociales, creusant ainsi les inégalités et freinant de ce fait la croissance économique. Je ne puis qu’être d’accord avec sa brillante démonstration. En revanche, je ne peux souscrire à la suggestion qu’il faille aux gouvernements augmenter les impôts des mieux nantis et des grandes entreprises prospères afin que cette richesse ruisselle vers le bas. Et pour cause. À mon avis, cette solution de hausser les impôts est tout sauf efficace, car les lois de l’impôt sont ainsi faites que la moindre baisse ou perte de revenus des financiers est déductible ou reportée dans les années subséquentes. De plus, on sait que maintes entreprises préfèrent perdre en bourse ou dans un investissement à risque plutôt que d’envoyer plus d’argent au gouvernement. Ce que je suggère pour aller chercher une partie des profits des grandes entreprises prospères ou des promoteurs est que les gouvernements ou plus facilement les municipalités passent des règlements qui obligent les investisseurs à payer une taxe d’investissement (10% par exemple) dans leur montage financier initial ou lors d’un agrandissement ou d’un réinvestissement. Pour étayer ma suggestion, prenons un exemple à la Ville de Trois-Rivières.
Du ruissellement vers le haut à Trois-Rivières?
Pour voir advenir le projet Trois-Rivières sur St-Laurent, la Ville de Trois-Rivières, depuis 1995, a investi entre 100 et 125 M$; pour nettoyer le terrain, le décontaminer, construire un amphithéâtre, faire les rues, les égoûts, l’aqueduc, le paysagement, les pistes piétonnières et cyclables, etc. Nous, les citoyens avons payé ces 100 M$ à même nos taxes municipales et provinciales. Pourquoi? Tout cet argent de la Ville tout simplement pour inciter des promoteurs immobiliers à y investir à leur tour. Combien de logements et condos de luxe (300 peut-être 400 au final) pour un investissement de 100 ou 150 M$ par les promoteurs immobiliers. Maintenant que c’est presque tout bâti, loué ou vendu à plus de 75 %, les profits pour ces investisseurs immobiliers sont déjà au rendez-vous. Et ça, c’est sans compter la plus-value des immeubles, sûrement un 25 % compte tenu du boom immobilier et du succès du site. C’est donc dire que les 100 M$ que les promoteurs ont investis il y a 3-4 ans valent au moins 125 M$ sans compter les profits sur la location et la vente. Beau retour sur investissement, n’est-ce pas?! C’est ce qu’on appelle si joliment un ruissellement vers le haut! Pendant cette même période, quelles ont été les retombées sur les quartiers environnants (Ste-Cécile, St-Paul) et pour la ville? On a cru à tort que le projet génèrerait une augmentation de richesse pour la Ville grâce à l’attraction de personnes bien nanties. Or, il s’avère que la majorité des acheteurs à Trois-Rivières sur St-Laurent, plus de 50 %, viennent de Trois-Rivières; des gens qui ont tout simplement vendu leur maison et résident maintenant à l’Adresse ou à Lokia[1]. Leur argent est passé de chez Desjardins ou toute autre banque à la Banque de Lokia et de l’Adresse sur le Fleuve. Génèrent-ils de nouveaux revenus pour la Ville et ses commerçants? J’en doute! Dans ces conditions, quand la Ville peut-elle espérer un retour sur investissement pour les 125 M$ qu’elle a investis pour attirer les promoteurs ? Est-ce par la perception des taxes foncières? Peut-être, mais ce n’est pas pour demain. Le calcul est simple : 300 logements ou condos à 4000 $ /an de taxes foncières devraient générer des revenus annuels de 1,2 M$. C’est donc dire que nous, les citoyens, nous pouvons espérer le remboursement de notre investissement initial dans environ 100 ans. Au surplus, bon an mal an, la Ville continue à budgéter dans Trois-Rivières sur St-Laurent près de 1 M$ ? Pour les citoyens, pas de ruissellement vers le bas.
Suggestion pour un ruissellement vers le bas ET vers le haut à Trois-Rivières
Trois-Rivières pourrait prendre exemple sur certaines villes au Québec qui obligent les promoteurs à inclure dans le montage financier des gros projets-développeurs qu’ils soumettent 10 % du montant afin de prévoir des retombées pour les quartiers environnants et pour payer les infrastructures essentielles. Si Trois-Rivières avait fait ainsi, c’est 10 ou 15 M$ qui seraient venus tout de go enrichir les coffres de la Ville pour améliorer les quartiers environnants de Trois-Rivières sur St-Laurent ou pour tout autre projet structurant ou pourquoi pas une diminution de taxes! Ainsi, promoteurs et citoyens pourraient être gagnants. Ruissellement vers le haut ET vers le bas! N’ayons plus peur de demander aux mieux nantis de collaborer au bien-être des citoyens de la ville où ils veulent prospérer. Si les règles sont claires dès le début, ils accepteront car de toute façon, leur retour sur investissement est assuré. De plus, leur apport financier est déductible des impôts et ça, c’est rentable pour eux! Non seulement leurs profits nets n’en seraient affectés, ils auront en prime le privilège de devenir de bons citoyens corporatifs. [1] Le Nouvelliste, 13 janvier 2020. Paule Vermont Desroches
Réplique d’Alain Dumas
Merci d’avoir pris le temps de prendre part au débat. Il est vrai que l’on peut déduire des pertes boursières d’années antérieures sur les gains d’une année subséquente, et diminuer par le fait même sa facture d’impôt. Mais ceci est réformable comme le sont les 170 allégements fiscaux prévus à la loi canadienne. Selon un rapport de Corporate Knights [1], le gouvernement canadien pourrait facilement récupérer 40 milliards $ en réformant seulement cinq de ces allégements fiscaux. De son côté, le Directeur parlementaire du budget fédéral évalue qu’il existe des marges de manoeuvre pour lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal qui privent l’État de 50 milliards $ chaque année les grandes entreprises devraient être mises à contribution en haussant leur taux d’imposition. Enfin, un impôt de guerre au Covid-19 de 2 % sur les grosses fortunes (et non les revenus) pourrait rapporter au moins 60 milliards $. Ce n’est qu’une question de volonté politique.