Par Florie Dumas-Kemp, mai 2017
C’est en ce mois de mai que l’augmentation du salaire minimum, annoncée en janvier dernier, entre en vigueur, le taux horaire passant de 10,75 $ à 11,25 $. Nous voilà encore loin d’un salaire minimum viable – c’est-à-dire qui permet de subvenir aux besoins de bases et de faire face aux imprévus – à 15 $ l’heure, comme on le revendique au Québec depuis 2015. Au rythme proposé par le parti libéral, nous pourrions l’atteindre en 2028 seulement. Or, dans 10 ans, le salaire viable se situera bien au-delà de 15 $ ! Plusieurs mythes-épouvantails persistent encore contre cette campagne, et voyons pourquoi.
Le spectre de la disparition d’emplois
Dans l’édition d’octobre dernier de La Gazette, l’économiste Alain Dumas écrivait un article déboulonnant le mythe voulant qu’une hausse substantielle du salaire minimum entraînerait des pertes d’emplois. Cette prétendue corrélation n’aurait en fait aucun fondement et tomberait lorsqu’on la confronte à des cas empiriques. Par exemple, en 2011, la Colombie-Britannique a augmenté le salaire minimum dans la province de 8 $ à 10,25 $ – en une année ! Contrairement aux prédictions dévastatrices de l’Institut Fraser, seulement une légère baisse d’emplois de 1,7% s’en est suivie, et ce, de façon temporaire. Le cas de l’Allemagne est aussi éclairant. En 2014, un salaire minimum a été instauré pour la première fois dans le pays et c’est plutôt le chômage qui a légèrement diminué par la suite entre 2015 et 2016. Bref, plusieurs faits vérifiés nous permettent d’avancer qu’une hausse du salaire minimum n’affaiblirait pas le marché de l’emploi.

Un ajustement du salaire minimum à 15 $ de l’heure soulève des craintes, mais celles-ci se fondent essentiellement sur des mythes véhiculés dans les médias.
Et les PME ?
Un autre argument récurrent contre le salaire minimum à 15 $ l’heure concerne son incidence sur les petites et moyennes entreprises (PME), à savoir qu’il causerait potentiellement leur fermeture. Selon un rapport de l’IRIS (2016), cette préoccupation mérite aussi d’être nuancée. Tout d’abord, les chercheurs font remarquer que le salaire horaire moyen actuel des PME se situe à 19 $. Ils soulignent également qu’au Québec, par suite d’une hausse rapide du salaire minimum entre 2008 et 2010, « le taux de fermeture des très petites entreprises québécoises » a tout de même continué à diminuer, comme c’est le cas pour toutes les tailles de PME depuis 2001. Sans compter qu’une hausse du salaire minimum permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés les plus précaires et ainsi de stimuler la demande dans les économies locales. Finalement, il serait possible de mettre en place des mesures plus progressives pour instaurer le salaire minimum à 15 $ l’heure en tenant compte de la taille des entreprises, comme cela s’est fait notamment à Seattle aux États-Unis.
Une préoccupation de façade
Les détracteurs de la campagne pour le salaire minimum à 15 $ semblent avoir tous une chose en commun : une soudaine préoccupation pour le sort des travailleuses et travailleurs pauvres. Certains osent même prétendre défendre les «laissés-pour-compte », comme David Descôteaux (un chroniqueur économique anciennement associé à l’IEDM) qui argumente du même souffle qu’un salaire décent ne se justifie pas pour des salariés sans qualification. Vouloir protéger les plus pauvres tout en s’acharnant à bloquer un salaire minimum viable qui augmenterait la qualité de vie du quart des salariés québécois, cela relève beaucoup plus d’une instrumentalisation que d’une réelle préoccupation quant à la pauvreté.
Sources :
David Descôteaux, 1er août 2016, « Salaire minimum : trop, c’est comme pas assez », CPA Magazine.
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. (octobre 2016). « Pourquoi un salaire minimum à 15 $ l’heure ? ». 40 p. [Disponible en ligne : https://www.minimum15.quebec/pourquoi-minimum-15/]
Mathieu Dufour, Raphaël Langevin et Danny Caron-St-Pierre, octobre 2016, « Rapport de recherche : Quels seraient les effets réels d’une hausse marquée du salaire minimum ? », Rapport de recherche de l’Institut de recherche et d’information socio-économique, 46 p., [Disponible en ligne : http://iris-recherche.qc.ca/publications/salaire-minimum]
Philippe Hurteau et Minh Nguyen, avril 2016, « Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016 ? Calculs pour Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay et Sept-Îles », Note socio-économique de l’Institut de recherche et d’information socio-économique, 8 p., [Disponible en ligne : http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Salaire_viable_WEB_05.pdf]