Olivier Gamelin, Comité de solidarité de Trois-Rivières, juin 2016

Faute de pouvoir tirer leur eau des immenses réserves formées par la construction de barrage hydroélectrique, les Lesothans extraient l’or bleu au compte-goutte à même des puits qui se tarissent rapidement.
Le village de Ha Mallani, au Lesotho, est situé à flanc de colline en surplomb du barrage de Katse, qui fournit une partie de son eau potable à la mégapole Johannesburg-Pretoria, en Afrique du Sud. Chaque année, de juillet à janvier, la sécheresse souffle sa poussière sur cette bourgade dont les habitants dépendent essentiellement de l’agriculture vivrière. Dès l’été 2016, ce petit pays enclavé d’Afrique australe risque de sombrer dans une « sécheresse verte » qui pourrait, au pis, pousser le tiers de sa population dans le gouffre de la famine, au mieux dans celui de la malnutrition.
En février dernier, cette monarchie constitutionnelle déclarait l’état de catastrophe naturelle, alors que 21 000 Lesothans sont entièrement tributaires du Programme alimentaire mondial. Le hic : faute d’eau, les récoltes s’annonçaient rachitiques. Dans ce pays dont la population survit pour moitié grâce à l’agriculture (20 % du PIB en 1983 / seulement 7 % en 2011), les sécheresses sporadiques des dernières décennies n’ont rien d’encourageant. D’autant plus que les prochaines récoltes sont prévues seulement en mai-juin…2017.
UN CHÂTEAU D’EAU
Paradoxalement, ce n’est pas l’eau qui manque au Lesotho, surnommé le « château d’eau » sud-africain. Le pays dispose de réserves d’eau 75 fois supérieures à celles nécessaires pour satisfaire ses besoins nationaux. Pourtant, à l’ombre de son grand voisin, l’Afrique du Sud, le Lesotho a soif.
En 1986, l’Afrique du Sud et la Banque mondiale finançaient à renfort de milliards $ le Projet hydraulique des hautes terres du Lesotho (PHHTL), afin de transformer l’or bleu en argent sonnant. L’objectif à terme : dériver 70 mètres cubes d’eau à la seconde pour abreuver l’insatiable consommation humaine et industrielle sud-africaine. En retour, les profits tirés de l’électricité produite gonfleraient les coffres du Lesotho (6 % du budget national). Concrètement, la construction de cinq grands barrages était sur la planche à dessin des ingénieurs, un projet évalué à 16 milliards de $ échelonné sur 30 ans. Ainsi, alors que l’Afrique du Sud se désaltère, les populations du Lesotho, situées en aval des barrages, sont désormais privées totalement ou en partie des eaux dont elles disposaient jadis.
Déjà en février 2013, la Banque africaine de développement (BAD) s’inquiétait : les piètres rendements agricoles du Lesotho risquaient de plonger le tiers de la population dans une situation d’insécurité alimentaire alarmante. « La persistance de la crise alimentaire et le taux de prévalence élevé du VIH dans le pays (un quart des adultes sont infectés) ont contribué à la détérioration des indicateurs sociaux, surtout la mortalité infantile et maternelle et, par ricochet, l’espérance de vie », notait la BAD dans sa planification stratégique 2011-2017.
CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Certes, le bradage de l’eau lesothane à l’Afrique du Sud n’est pas seul responsable de la sécheresse actuelle. Les changements climatiques ne sont pas étrangers à cette catastrophe humanitaire et environnementale. Pour l’heure, le pays ne dispose d’aucune politique ou stratégie à court terme pour faire face aux changements climatiques. Faute de disposer des ressources humaines adéquates pour mettre en place des mesures d’atténuation, tout porte à croire que les robinets du Lesotho ne couleront pas avant longtemps.
Cela sans compter que l’Afrique du Sud produit actuellement plus de 92 % de son électricité à même ses centrales au charbon qui, faut-il le rappeler, consomment énormément d’eau et participent au réchauffement climatique global. Les émissions de gaz à effet de serre en Afrique du Sud sont 75 % plus élevées que la moyenne mondiale avec, on l’a vu, des conséquences directes, d’emblée sur le Lesotho, où 57 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté.
En somme, la sécheresse verte au Lesotho illustre malheureusement combien un pays plus riche et développé peut faire main basse sur les ressources naturelles d’un pays voisin, plus petit, au nom de son développement économique et, surtout, en faisant fi des conséquences environnementales et humaines inhérentes à ses décisions. Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt l’Afrique du Sud, aux prises avec ses propres sécheresses et ses propres défis en matière de développement social, mais lorsque la solution de l’un réside dans l’appauvrissement de l’autre…