Lorraine Beaulieu – Chronique culturelle – mai 2020
Le sociologue Derrick de Kerckhove parle d’intelligence connective depuis deux décennies en raison du développement de la technologie qui a envahi nos vies et de l’évolution de nos moyens de communication. À partir de sa transgression de l’intelligence collective, je propose de vous entretenir de ce que j’appelle la sensibilité connective, qui se manifeste par la diffusion de réalisations artistiques en mode virtuel.
Alors que les annonces d’annulations des grands événements artistiques et culturels se succèdent à cause du confinement, on compte les nombreuses activités qui vont nous manquer cet été, en particulier les grands festivals. En ce temps de pandémie, pas de rassemblement pour entendre, voir et bouger avec ceux et celles qui émeuvent nos sens, puisque distanciation sociale oblige. Mais distanciation sociale ne signifie pas distanciation de l’art et de la culture. Au contraire, l’art et la culture deviennent d’autant plus utiles pour nous réconforter, partager nos opinions et états d’âme, susciter l’interaction entre les gens et, surtout, rester en contact avec la beauté du monde. Parce que, plus que jamais, nous avons besoin de beauté et d’authenticité.
Pourquoi réunir beauté et authenticité ? Parce que je crois que la beauté authentique est celle qui admet que des pans de la réalité sont parfois moches, mais qui intègre magnifiquement ces imperfections et reflète au plus près la vérité. De fait, on accepte davantage une version assumée de la réalité humaine, car on peut s’y reconnaître plus facilement et qu’elle touche notre sensibilité. Il en va de même pour l’art authentique : il magnifie et transcende la réalité souvent pénible et nous rejoint au-delà de tout intérêt mercantile.
Or, garder sa sensibilité active pour apprécier le travail des artistes et rendre la situation actuelle plus acceptable en situation de confinement, ce n’est pas chose facile. L’art y contribue par le partage de l’expression qui passe par les sens. Mais comment être ensemble tout en étant chez soi et se lier à la sensibilité mise en réseau, que j’appelle la « sensibilité connective » ?
C’est ce que tentent de faire les artistes sur les réseaux sociaux ces temps-ci. De même, les organismes de diffusion de l’art que sont les musées, galeries et centres d’artistes déploient leur créativité pour maintenir notre sensibilité en contact avec la réalité actuelle de la pandémie. Vous avez sans doute remarqué que ces lieux de diffusion de la culture s’occupent plus que jamais de nous aider à garder le moral en nous invitant à nous adonner à la création artistique. Pourquoi cet incitatif ? À mon avis d’artiste et de travailleuse culturelle, la création artistique permet d’entrer en soi et de rejoindre l’inconscient, ce qui permet d’oublier la seule utilité rationnelle des gestes. Que ce soit par l’écriture, le dessin, la peinture, la danse, la musique, la vidéo, etc., chacun peut ainsi extérioriser sa vie intérieure.
Via les réseaux sociaux, l’art se donne la mission de rejoindre le cœur du plus grand nombre, ce qui réunit le grand public sous des repères communs, visuels, corporels ou sonores, de la même manière que lorsqu’on se retrouve rassemblé pour apprécier les mots d’une chanson ou s’émouvoir devant toute forme d’art. Il est effectivement très touchant d’être dans une foule et de sentir que toutes les personnes autour de soi s’émeuvent simultanément, cela produit un rapprochement. Transposée dans le contexte des présentations sur le Web, cette émotion évoque aussi l’expression « tissé serré », d’autant plus que le mot Web (toile) renvoie à la notion de tissage, à la trame sociale, au réseau.
Alors profitez de ce que les artistes vous tendent généreusement la main en partageant leurs œuvres grâce à des liens gratuits vers des expositions virtuelles, des clips vidéo, des chansons, de la poésie, etc. C’est ça, la sensibilité connective : des personnes isolées, mais ensemble !