Syndicats catholiques, départ pour Québec pour une protestation. Source : Appartenance Mauricie Société d’histoire régionale, Fonds Le Nouvelliste

La première association ouvrière répertoriée au Bas-Canada s’organise en 1818 chez la Société amicale des charpentiers et menuisiers de Montréal. Dans les décennies suivantes, l’apparition de syndicats au Québec est modeste et ils réunissent peu de syndiqués. Avant les années 1860-1870, il est donc difficile de parler d’un réel mouvement ouvrier québécois (1). Mais qu’en est-il en Mauricie?

Au courant de la seconde moitié du XIXe siècle, les syndicats, les grèves et les conflits de travail sont loin d’être inconnus en Mauricie. Cela s’explique par la montée de l’industrialisation qui va permettre notamment l’implantation de la cellule des « Chevaliers de Saint-Crépin chez les cordonniers de Trois-Rivières en 1872 » et le recrutement de membres dans les fonderies de Trois-Rivières par l’Association des mouleurs de Montréal en 1880. Sans oublier, les « quelques grèves spontanées [qui] se déclarent, dont l’une à Sainte-Anne-de-la-Pérade » […] et « une autre à Trois-Rivières contre un entrepreneur qui fait travailler jusqu’à dix heures du soir pour la maigre somme de cinquante centins [sic] par jour »(2). 

Le XXe siècle aura également son lot de conflits. C’est le cas en 1900 lorsque les cordonniers de la manufacture Tebbutt de Trois-Rivières déclenchent une grève. Ils « exigent le respect des revendications salariales faites par le syndicat provincial et acceptées par plusieurs patrons des autres villes du Québec. Les nouveaux patrons [les frères Tebbutt] tiennent tête et la grève se termine par le renvoi des grévistes qui refusent de retourner au travail »(3). 

Or, le droit d’association des travailleurs est reconnu légalement depuis 1872 au Canada (4). Cependant, « les tribunaux tardent jusqu’à la fin du siècle à clarifier les balises de la légalité, de sorte que les forces de l’ordre interviennent régulièrement pour brimer le droit d’association et de défense des intérêts professionnels »(5). La grève de la Tebbutt est un bon exemple du non-respect du droit d’association.

Les élites et le syndicalisme 

Malgré cette reconnaissance, les élites politiques et religieuses ne voient toujours pas d’un bon œil le syndicalisme. Ils l’associent au socialisme qui se répand de plus en plus dans les milieux ouvriers. Pour les élites, cette idéologie est considérée comme immorale, puisqu’elle prône, en autres, l’athéisme, la fin de la propriété privée et elle crée la haine entre l’exploitant et l’exploité. Les élites sont donc fortement hostiles « à tout ce qui s’apparente à la contestation de l’ordre existant »(6). Le syndicalisme est alors perçu comme l’une des causes du désordre social, comme le démontre cet extrait de 1880 du Journal des Trois-Rivières.

« L’association des ouvriers mouleurs de Montréal a, parait-il, envoyé, ces jours derniers, deux émissaires pour associer les employés des fonderies de cette ville et leur faire contracter l’engagement de ne travailler qu’à raison de 1,50$ par jour. 

Nous ne croyons pas que ces envoyés aient réussi. En tous cas nous mettons les ouvriers en garde contre les sollicitations de ces agents qui relèvent plus ou moins directement de l’association secrète L’Internationale. Un catholique ne peut faire partie de ces associations communardes qui sont la source des grèves et des actes de violences qui affligent les États-Unis et plusieurs de nos grandes villes »(7). 

Si le Journal met en garde les ouvriers catholiques trifluviens de leur association aux mouleurs de Montréal, les curés seront eux aussi sollicités pour les dissuader. C’est d’ailleurs le cas en 1877 lorsque 200 employés du chemin de fer de la Rive Nord quittent le travail pour protester contre le congédiement de leur contremaître : « M. le curé a fortement blâmé les grévistes et les a engagés à retourner à leur ouvrage », ce que tous font le lundi matin(8). 

En ce sens, les évêques québécois ont une vision traditionnelle de la question ouvrière. C’est-à-dire qu’ils misent « sur l’esprit de justice et de charité des classes supérieures et sur la fondation d’œuvres à caractère social comme la Saint-Vincent-de-Paul et les sociétés de secours mutuel »(9). Cette vision des associations de travailleurs reste ancrée dans la mentalité des élites politiques et religieuses jusqu’au milieu du XXe siècle. Toutefois, « leur résistance à l’affirmation de la classe ouvrière montante est tout de même atténuée par l’institution du syndicalisme catholique que recommandent successivement les papes Léon XIII et Pie X »(10). 

L’encyclique Rerum Novarum un tournant pour la question ouvrière

En 1891, le pape Léon XIII publie l’encyclique Rerum Novarum(11) qui constitue la doctrine sociale de l’Église catholique. Cette doctrine aborde la question ouvrière et cherche à mettre en place des solutions afin d’améliorer les conditions des ouvriers. Elle veut également modifier le rapport de force entre patrons et travailleurs. L’Église se donne donc le droit et le devoir d’intervenir dans la sphère sociale. Ce faisant, l’encyclique propose la création de syndicats ou de corporations catholiques dont l’organisation serait sous l’autorité du clergé. Par exemple, l’Église « se charge [donc] de dispenser un enseignement moral auprès des patrons et des ouvriers afin que, dans leurs relations, l’égoïsme et la méfiance traditionnelle fassent place à un esprit de justice et de charité »(12). 

Avant la Première Guerre mondiale, on compte cinq fédérations de syndicats catholiques au Québec, dont la Corporation ouvrière catholique de Trois-Rivières en 1913. Ces fédérations « se réclament de la doctrine sociale de l’Église telle que la définit l’encyclique Rerum Novarum ». Après la guerre, le clergé profitera de son expérience pour relancer le mouvement sur des bases différentes(13). 

 

Sources

(1) Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois : Des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1989, p. 11;  Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain : De la confédération à la crise (1867-1929), Tome 1, Édition du Boréal, Montréal, 1989, p. 235 ; « La petite histoire du syndicalisme au Québec », La Presse, [En ligne] (page consultée le 17 mars 2022).

(2)  René Hardy, Normand Séguin et alHistoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 721.

(3) Gilles Pronovost., Pierre Girard, « Temps industriel et temps libre à Trois-Rivières : une étude de cas », Revue d’histoire de l’Amérique française, No. 2, Vol. 41, 1987, p. 211; Voir aussi : La Presse, 19 octobre 1900, p. 5; Jean Hamelin, Paul Larocque et Jacques Rouillard, Répertoire des grèves dans la province de Québec au XIXe siècle, Montréal, Presses de l’École des hautes études commerciales, 1970, 167 p. 

(4) « La petite histoire du syndicalisme au Québec », La Presse, [En ligne] (page consultée le 17 mars 2022). 

(5) René Hardy, Normand Séguin et al, Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. p. 722.

(6) René Hardy, Normand Séguin et al, Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 721-722.

(7) « Nouvelle locale », Le Journal des Trois-Rivières, no. 29, Vol. 16, 1880, p. 2.

(8)  « Nouvelle locale », Le Journal des Trois-Rivières, no. 39, vol. 13, 1877, p. 2.

(9) Jacques Rouillard, Le syndicalisme québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2004, p. 49.

(10) René Hardy, Normand Séguin et al, Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 722.

(11) En français : Choses nouvelles.

(12) Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme au Québec : Des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1989, p. 98-99-100.

(13) Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme au Québec : Des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1989, p. 99 et 102.

Bibliographie 

HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p. 

LINTEAU, Paul-André, DUROCHER, René et ROBERT Jean-Claude, Histoire du Québec contemporain : De la confédération à la crise (1867-1929), tome 1. Les Édition du Boréal, Montréal, 1989, 758 p. 

ROUILLARD Jacques, Le syndicalisme québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2004, 335 p. 

ROUILLARD Jacques, Histoire du syndicalisme québécois : Des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1989, 535 p. 

« Nouvelle locale », Le Journal des Trois-Rivières, no. 29, Vol. 16, 1880, p. 2.

« Nouvelle locale », Le Journal des Trois-Rivières, no. 39, vol. 13, 1877, p. 2.

 « La petite histoire du syndicalisme au Québec », La Presse, [En ligne] https://plus.lapresse.ca/screens/e551822a-9f19-4168-987d-1ee7637f2407__7C___0.html#:~:text=%C3%80%20la%20suite%20de%20la,gr%C3%A8ve%2C%20jusque%2Dl%C3%A0%20prohib%C3%A9es (page consultée le 17 mars 2022). 

Répertoire du patrimoine culturel du Québec, « Usine de pâtes et papiers Laurentide », [En ligne]  https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=191102&type=bien (page consultée le 14 mars 2022).

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