Une séance d’information à l’hôtel de ville de Trois-Rivières portant sur l’expansion projetée d’un parc industriel sur des terres humides a fait ressortir deux visions opposées en matière de climat et de protection de l’environnement.
Le 30 mars dernier, devant une salle bondée, la Ville de Trois-Rivières a présenté un projet d’expansion du parc industriel situé au carrefour des autoroutes 40 et 55. Une centaine de personnes étaient sur place et la séance était webdiffusée en direct.
Le projet présenté touche 27 hectares de milieux humides. S’il était réalisé, 15 hectares seraient rasés pour faire place à l’industrie et 12 hectares seraient perturbés par les travaux de drainage. Cependant, la Ville prévoit protéger 83 hectares dans le zonage global de ce territoire. Le projet d’ensemble porte sur 106 hectares de milieux humides, qui comprennent des écosystèmes fragiles, notamment des tourbières.
La Ville devant ses propres contradictions
Afin de démontrer sa volonté à « concilier la protection de l’environnement et le développement économique », Trois-Rivières compte accueillir dans ce parc industriel des entreprises du secteur des technologies environnementales et des énergies vertes. Lors de la vente des terrains, elle exigerait des normes de construction verte et le recours à l’utilisation de panneaux solaires. « Cela va nous permettre de contribuer à la transition énergétique », a affirmé Mario De Tilly, directeur général d’Innovation et Développement économique Trois-Rivières.
Ces affirmations ont fait bondir des personnes dans l’assistance. « Comment peut-on parler d’améliorer l’environnement quand on développe un parc industriel dans un milieu humide ? », a demandé la citoyenne Christiane Bernier. « Les villes du Québec ont perdu la majorité de leurs milieux humides dans les dernières décennies. Dans un contexte d’urgence climatique, on ne peut plus se permettre de perdre ne serait-ce qu’un seul hectare », a fait valoir Valérie Delage, une autre citoyenne.
Emmanuel Aubin Protz considère quant à lui que le projet fait l’objet d’écoblanchiment (greenwashing). « On nous présente le même projet que celui qui a été rejeté il y a quelques mois par le conseil municipal, dit-il, mais on l’a peinturé en vert. »
Charles Fontaine a exposé l’incompatibilité entre la déclaration d’urgence climatique (DUC) appuyée par Trois-Rivières et « ce projet rétrograde qui va dans le sens de la destruction pure et nette de la biodiversité et de milieux écologiques d’une importance capitale. Est-ce qu’on doit déchirer la déclaration d’urgence climatique ? », a-t-il demandé aux représentants de la municipalité.
Dans la même veine, Monique Fontaine a demandé aux élu(e)s s’ils entendent respecter les engagements de la récente Politique environnementale dans laquelle la Ville s’est engagée à protéger les milieux humides et à les considérer comme des « actifs naturels ». « Vous aviez promis que ces principes vous guideraient », a-t-elle rappelé.
Développer selon « des normes d’une autre époque »
La Ville compte effectuer ces travaux sur la base d’une autorisation du ministère de l’Environnement qui lui a été émis en 2014 et qui est toujours valide. Or, plusieurs participants ont critiqué la volonté de Trois-Rivières de s’appuyer sur une législation qui a été complètement revue depuis.
Charles Fontaine rappelle que les autorisations qui étaient octroyées en 2014 se fondaient sur un cadre légal datant des années 70, un point sur lequel Philippe Duhamel s’est permis d’ironiser : « Si j’ai acheté une automobile en 1975 qui n’avait pas de ceinture de sécurité, est-ce que je peux me permettre aujourd’hui de rouler sans ceinture de sécurité ? »
En effet, la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement en 2017 a donné lieu à un nouvel encadrement pour les milieux humides et hydriques. Si la Ville devait demander une autorisation ministérielle selon les critères actuels, elle devrait prévoir quatre à sept millions de dollars de plus pour concrétiser le projet, selon les estimations de Dominic Thibeault, directeur de l’Aménagement et du Développement durable de Trois-Rivières. Cette somme supplémentaire servirait à recréer des milieux humides équivalents ailleurs sur le territoire.
Puisque le principe « aucune perte nette de milieux humides », désormais imbriqué dans la Loi, n’était pas en vigueur en 2014, la Ville est donc dispensée de ces compensations. Elle assure toutefois avoir mis sous protection, à l’époque de l’obtention du certificat d’autorisation, des terres humides situées ailleurs sur le territoire à titre de dédommagement environnemental. L’autorisation de 2014 prévoit aussi des aménagements fauniques d’une valeur de 20 000 $ ailleurs sur le territoire, dans les secteurs Pointe-du-Lac et Cap-de-la-Madeleine.
Par ailleurs, la situation climatique n’étant plus la même qu’en 2014, on ne peut pas lancer des projets sur les mêmes critères qu’il y a huit ans, estime Philippe Duhamel. « Le climat du Québec s’est déjà réchauffé depuis 2014 et le sud du Québec est la zone la plus affectée au monde par le réchauffement climatique », souligne-t-il.
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Des visions qui se confrontent
Si tous s’entendent sur la nécessité d’agir pour contrer les changements climatiques, la séance d’information a révélé deux visions diamétralement opposées quant aux actions que devrait prendre la Ville à cet effet.
D’une part, les acteurs économiques souhaitent saisir les occasions d’affaires que représentent les défis environnementaux en misant sur une croissance verte, une approche qui est susceptible, selon eux, de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cassy Bernier, présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Trois-Rivières, a d’ailleurs fait valoir devant la salle la volonté des gens d’affaires de travailler dans le sens du développement durable. « Ce n’est pas vrai qu’on va arriver avec des usines et des industries qui auront comme objectif de détruire des milieux humides », affirme-t-elle. La Chambre appuie cependant le projet proposé par la Ville dans son intégralité.
D’autre part, la majorité des citoyens qui ont manifesté leurs préoccupations quant à ce projet municipal veulent que la Ville freine plutôt la course à la croissance économique et sa trajectoire de destruction, qui se trouvent, d’après eux, à la racine des problèmes climatiques et écologiques.
Selon Valérie Delage, ce type de projet appartient à une logique économique qu’il conviendrait de revoir. « On est rendu à développer dans des milieux de grande valeur écologique. Qu’est-ce qu’on va faire de cette logique de croissance infinie quand il n’y aura plus du tout de terrains à développer sur le territoire de la ville de Trois-Rivières ? »
Selon Dominic Thibeault, la Ville a la mission de concilier les enjeux environnementaux, sociaux, économiques et culturels. « Il faut faire des choix, dit-il, et ce projet représente un de ces choix. »
Or, ce choix, pense Emmanuel Aubin Protz, favorise encore l’économie au détriment de l’environnement. « On parle de développement durable qui devrait équilibrer les éléments économiques, sociaux et environnementaux, mais l’économie prend toujours le dessus, observe-t-il. Peut-être que le concept de développement durable a fait son temps. »