Peu nombreux sont les hommes ou les femmes d’État du Québec qui font presque l’unanimité dans la mémoire collective. Outre Louis-Joseph Papineau et Honoré Mercier, René Lévesque est certainement parmi ceux et celles qui ont le plus durablement marqué la société québécoise contemporaine en permettant son développement économique, culturel, social et politique.

Né à New Carlisle, un village à majorité anglophone en Gaspésie, le 24 août 1922, René Lévesque est l’aîné d’une famille de quatre enfants. Il fréquente le Collège de Gaspé. En 1941, il abandonne ses études en droit à l’Université Laval pour tenter sa première expérience journalistique comme annonceur puis comme animateur à la radio : d’abord à CKCV puis à CBV, poste de la chaîne française de Radio-Canada.

À 21 ans, il est engagé à titre de correspondant de guerre par l’Office of War Information de l’armée états-unienne qui recherche des candidats bilingues. En juillet 1944, il débarque en Normandie (France) et travaille à la Section radiophonique francophone pour la station de radio américaine en Europe où il rédige des nouvelles et retransmet des messages à déchiffrer pour la France. En février 1945, il est affecté d’abord à la IIIe armée du général Patton puis à la VIIe armée du général Patch pour la campagne militaire en Alsace. Un mois plus tard, il est l’un des premiers témoins à découvrir les horreurs nazies lors de la libération du camp de concentration de Dachau, en Allemagne, ce qui le prémunira toute sa vie contre les excès d’un nationalisme politique trop radical ou extrémiste.

Au début des années 1950, il devient reporter pendant la Guerre de Corée. À son retour, il se fait connaître comme animateur de l’émission télévisuelle Point de Mire, diffusée de 1956 à 1959 à Radio-Canada, pendant laquelle il explique et vulgarise au public les évènements internationaux de l’actualité. C’est là qu’en plus d’être une voix, il devient une image publique. Le peuple le surnomme « Ti-Poil ». En décembre 1958, il participe à la grève de deux mois des réalisateurs à Radio-Canada, ce qui l’envoie en prison et lui fait réaliser le manque de place des Canadiens-français au sein de l’administration du Canada. À partir de ce moment, il s’engage en politique pour le restant de sa vie.

« Je suis d’abord et avant tout un Québécois et, deuxièmement, avec un doute de plus en plus grand, un Canadien ».

René Lévesque, printemps 1963 à Toronto.

L’engagement politique

Recruté à l’âge de 37 ans dans « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage, il se présente aux élections de juin 1960. Les mœurs électorales de l’époque sont tellement violentes qu’il doit se faire accompagner par un garde du corps, le lutteur professionnel Jean « Johnny » Rougeau (1930-2019). Élu, il se démarque rapidement des autres politiciens. Par exemple, lors de son assermentation, il ne porte pas le costume d’usage pour les cérémonies comme tout le monde, mais un simple habit. De plus, il a une plume assez prolifique puisqu’il rédige au moins 1 400 chroniques dans les journaux.

Nommé ministre des Travaux publics, il met en place un système d’appel d’offres pour l’obtention des contrats gouvernementaux de plus de 25 000 $ sur tous les marchés de l’État québécois. Cela permet d’éviter le patronage et l’échange de contrats conditionnels à des contributions monétaires à la caisse électorale du parti au pouvoir, comme c’était le cas au temps de Maurice Duplessis.

Grâce à son élection comme député puis ministre libéral, Lévesque est alors considéré comme un moteur de la Révolution tranquille, entre autres grâce à son rôle clé dans l’assainissement des mœurs politiques ainsi que dans la nationalisation des compagnies d’électricité, en 1963, pour réaliser le slogan « Maîtres chez nous » [1] et permettre à la nation québécoise de se donner une autonomie économique. Secoué par le discours du « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle en juillet 1967, il propose à son parti d’élaborer une entente avec le Canada pour favoriser un projet de « souveraineté-association ». Cependant, le PLQ refuse et Lévesque quitte le congrès libéral avec une cinquantaine de délégués. 

« Nous sommes des Québécois. Cela veut dire que le Québec est le seul coin du monde où nous puissions être pleinement nous-mêmes. »

Option Québec, rédigé par René Lévesque en 1968.

Du Parti libéral du Québec au Parti québécois 

En octobre 1968, il fonde le Parti québécois (PQ), qui réunit plusieurs regroupements nationalistes. Deux ans plus tard, lors de la Crise d’octobre 1970, alors qu’il dénonce l’usage de la violence pour faire avancer la cause du Québec, il est néanmoins signataire d’un manifeste, publié le 14 octobre, signé par une quinzaine de personnalités dont Claude Ryan, directeur du journal Le Devoir, Marcel Pepin, Jacques Parizeau, Louis Laberge, Yvon Charbonneau et Alfred Rouleau, et qui appuie de véritables négociations avec le FLQ. Le gouvernement de Trudeau père l’accuse alors (sans preuves) de préparer avec ces personnes un gouvernement provisoire afin de renverser celui de Robert Bourassa. 

Dans l’opposition pendant deux mandats, son parti réussit finalement à prendre le pouvoir, le 15 novembre 1976, en devenant le premier gouvernement indépendantiste e l’histoire du Québec. En tant que 23e premier ministre du Québec, de 1976 à 1985, René Lévesque adopte une série de réformes progressistes majeures et importantes pour la société québécoise : la Loi 101 (1977) qui assure la prépondérance de la langue française au Québec, la Loi anti-briseurs de grève (1977), la Loi sur le zonage agricole (1978), la Loi sur l’assurance-automobile (1978), la Loi sur la protection de la jeunesse (1979), la création du premier ministère de l’Environnement (1979), etc. 

En 1977, alors qu’il est fait Grand officier de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de France, il fait également adopter la Loi sur le financement des partis politiques, dont il est très fier, une des lois les plus progressistes de tous les pays occidentaux. Celle-ci introduit les premières limites aux contributions individuelles, soit 3 000 $ par personne par année. Les personnes morales, comme les entreprises ou les sociétés par actions, les syndicats et les associations, n’ont plus le droit de donner à des partis. Désormais, seulement les individus peuvent contribuer : c’est une première au Canada.

Il termine sa carrière politique par quelques échecs (le NON l’emporte au référendum du 20 mai 1980, la Nuit des longs couteaux en novembre 1981 durant laquelle les autres provinces s’entendent pour rapatrier puis signer la constitution canadienne sans le Québec, son pari du « beau risque » d’appuyer les Conservateurs de Brian Mulroney afin de réintégrer le Québec dans le fédéralisme) mais aussi quelques grands succès. Par exemple, dès 1983-1985, son gouvernement est le premier État en Amérique du Nord à reconnaître le droit à l’autodétermination des peuples autochtones.

Toutefois, usé par la trahison du Canada anglais et de son ancien ami P.-E. Trudeau, ainsi que par les guerres internes au PQ au sujet de la mécanique référendaire et de la priorisation de l’indépendance, il démissionne le 20 juin 1985 et rédige son autobiographie, Attendez que je me rappelle…, qui devient un bestseller avec plus de 150 000 copies vendues en quelques mois, un exploit à l’époque.

Malheureusement, il décède d’une crise cardiaque à Montréal, le 1er novembre 1987, laissant dans le deuil les trois enfants de son premier mariage avec Louise L’Heureux (1921-2012) ainsi que sa deuxième femme, Corinne Côté (1943-2005). Il est enterré à Québec. Pour lui rendre hommage, on remplace aussitôt le nom du boulevard Dorchester à Montréal par boulevard René-Lévesque. À Trois-Rivières, au Cap-de-la-Madeleine, on retrouve la place René-Lévesque près de la rue Pie-XII. En 1993, l’Association des journalistes indépendants du Québec crée aussi le prix René-Lévesque. On peut également écouter les chansons qui lui sont dédiées par Les Cowboys fringants, [2] en 2004, ou encore celle de Mononc’ Serge et Anonymus sur leur album intitulé Musique barbare (2008). [3]

Le père du Québec moderne

C’est en novembre 2012 qu’il est nommé « personnage historique » par l’État québécois au même titre que Samuel de Champlain, Marie Rollet, Louis Cyr, La Bolduc ou Félix Leclerc, le père de la chanson québécoise. D’ailleurs, ce dernier rédige un célèbre discours à l’occasion des funérailles du chef politique et qui va devenir son épitaphe : « La première page de la vraie belle histoire du Québec vient de se terminer… Dorénavant, il fait partie de la courte liste des libérateurs de peuple. »

De nos jours, tous les partis politiques québécois affirment défendre son héritage, ce qui démontre à quel point René Lévesque était un très grand démocrate, au-delà des considérations strictement partisanes. Par ailleurs, on attend toujours que la maison de son enfance, reconnue depuis 1995 au patrimoine national du Québec, soit transformée en musée tel que le souhaite la Fondation René-Lévesque, créée dès 1988 afin de préserver et de promouvoir son héritage politique et intellectuel.

Toutefois, l’impasse constitutionnelle au Canada demeure : il n’existe pas encore de version française officielle de la Constitution de 1982, car tous les premiers ministres du Québec ont toujours refusé de la signer. Enfin, si l’on souhaite lui rendre hommage et accomplir son œuvre, nous devrions achever sa mission par la nécessaire réforme du mode de scrutin qu’il souhaitait tant et donner au Québec sa liberté politique par l’indépendance. C’est maintenant à nous de reprendre le flambeau !

« Nous avons eu l’impression, presque constamment au cours de notre histoire du dernier siècle, d’être en quelque sorte une colonie intérieure dont on tolérait la « différence » à condition qu’elle fût résignée à son sort et à l’infériorité collective qu’on lui imposait. »

René Lévesque 

Sources dans le texte 
[1] https://gazettemauricie.com/lhydroelectricite-lor-bleu-du-quebec/
[2] https://www.youtube.com/watch?v=E-nIpB-bisg
[3] https://www.youtube.com/watch?v=BDPqaMG6yBY
Sources principales
René Lévesque par Michel Lévesque (1991, LIDEC, 62 p.)
René Lévesque par Daniel Poliquin (2009, Boréal, 205 p.)
Le petit livre des citations indépendantistes par Erik Frappier (2009, Éditions Trois-Pistoles, 140 p.)
https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=7737&type=pge 
https://fondationrene-levesque.org/rene-levesque/biographie
https://www.facebook.com/fondationrenelevesque
https://www.erudit.org/fr/revues/po/1987-n11-po2537/040556ar.pdf
https://ssjb.com/ce-quil-reste-de-lheritage-de-rene-levesque-trente-ans-apres-sa-mort/
https://www.journaldemontreal.com/2012/10/29/ti-poil
https://www.v3r.net/culture/histoire-et-patrimoine/toponymie/toponyme/rene-levesque
https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8652890/rene-levesque-inspiration-un-peuple?liste=28-34803

 

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