Par Steven Roy Cullen, mars 2017
En 2014, le mot-clic lancé par les journalistes sue Montgomery (Montreal gazette) et Antonia Zerbisias (Toronto Star) #Beenrapedneverreported, (#AgressionNonDénoncée) en soutien aux victimes dans l’affaire Jian Ghomeshi est rapidement devenu viral. Les millions de témoignages qui ont déferlé sur les réseaux sociaux ont clairement illustré à quel point il peut être difficile de dénoncer une agression à caractère sexuel.
Selon Mmes Joëlle Boucher-Dandurand et Nicole Hamel, respectivement directrices des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Trois-Rivières et de Shawinigan, cette difficulté à dénoncer les agressions à caractère sexuel découle du contexte social. La victime qui dénonce son agresseur et porte sa cause en justice s’expose à toute une série de conséquences relationnelles.
D’après les directrices, on pense souvent à tort, d’un point de vue externe, que les victimes sont agressées par des inconnus et que, dans ces cas, il devient facile de dénoncer son « méchant » agresseur pour l’envoyer en prison. « Ce n’est pas la réalité des femmes. La réalité, c’est qu’il s’agit de leur père, leur oncle, leur voisin, leur meilleur ami ou leur conjoint. Les agresseurs sont des hommes respectés, aimés et reconnus par leur milieu. Ce n’est pas rien de dénoncer un agresseur qui peut être avocat, policier ou chef d’entreprise», souligne Mme Boucher Dandurand.
« Si la victime porte sa cause en justice, ça va prendre du temps, renchérit-elle. Elle sera confrontée à son agresseur, elle devra donner beaucoup de détails sur les événements et, nécessairement, ça va raviver plein de choses dans sa vie. Elle va être victimisée et confrontée de nouveau à son traumatisme. »
À cela s’ajoutent tous les préjugés au sujet de la victime. En dénonçant son agresseur, elle peut s’attirer des réactions du type Elle a couru après, Pourquoi elle l’a laissé rentrer chez elle le soir ? Ça ne serait pas arrivé sinon. « On déplace la responsabilité de l’agression sur la victime », précise Mme Hamel.
En fait, en raison de toutes les difficultés auxquelles s’exposent les femmes victimes d’agressions à caractère sexuel, seulement 5 % d’entre elles vont entamer des recours judiciaires contre l’agresseur. Le Regroupement québécois des CALACS reproche d’ailleurs à la nouvelle Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer la violence sexuelle, dévoilée en octobre dernier, de ne pas en faire assez pour soutenir le 95 % des victimes qui ne portent pas plainte.
Stratégie gouvernementale
Les CALACS travaillent sur trois volets d’action : l’aide directe aux femmes et adolescentes victimes d’agression sexuelle, la prévention et la sensibilisation et la lutte et la défense collective des droits. Afin de prévenir et contrer la violence sexuelle, ces trois volets s’avèrent essentiels. Or, la nouvelle stratégie gouvernementale comprend beaucoup plus de mesures qui visent le ministère de la Justice que le ministère de la Santé et des Services sociaux ou le Secrétariat à la Condition féminine, se désole Mme Boucher-Dandurand.
Tout en reconnaissant le besoin d’améliorer le cadre légal, les directrices des CALACS de la Mauricie estiment qu’il est incohérent d’intervenir uniquement auprès des victimes pour les aider dans leur processus de guérison. « Cette intervention est nécessaire, parce que beaucoup de femmes – une femme sur trois – vivent une agression sexuelle au cours de leur vie. Par contre, si on ne change pas les mentalités par la lutte et la prévention, on est destiné à toujours éteindre des feux », soutient Mme Boucher- Dandurand.
« C’est pour cette raison, précise Mme Hamel, qu’on croit beaucoup à la prévention dans les écoles secondaires. On y conscientise vraiment les jeunes. On leur donne la possibilité de développer un regard critique et de prendre position quand ils sont témoins d’agressions à caractère sexuel. C’est par la prévention qu’on réussit le changement social. »