Par Luca Zastava alias Luc Drapeau, juin 2017
C’est le 29 juin que la formation Bartula nous a livré la nouvelle mouture de son travail sur la scène Rythme FM des voix libres, à 18 h, dans le cadre du FestiVoix. Les membres de cette formation nous avaient auparavant donné rendez-vous au Zénob (établissement que nous remercions ici), en plus d’avoir la gentillesse de nous accorder une prestation privée et une entrevue très appréciées, lesquelles sont disponibles sur le site web de La Gazette.
Origine et dépassement
Alors que nous avons tendance à confondre la carte et le territoire, à nous complaire dans les formules d’usage et les formes musicales toutes faites, codifiées et très standardisées, le courant musical dans lequel évolue Bartula, quand on prend la peine de le décortiquer, nous apparaît riche de ses influences culturelles multiples.
En effet, dans les Balkans, à mi-chemin de l’Orient et de l’Occident, entre confessions chrétienne et musulmane, la musique yougoslave s’est enrichie de toutes les influences (tzigane, swing, jazz, rock, punk) qui sont venues à elle. Voilà que cette tradition de partage pluriel a trouvé un terreau fertile à Trois-Rivières pour se métisser encore davantage.
Ce projet de groupe musical, qu’Igor Bartula caressait depuis son arrivée au Québec en 1996, entre divers autres projets (Gitans de Sajarevo, Caïman Fu, etc.), s’est bonifié par les apports diversifiés de tous ceux qui produisent avec lui cette musique contrastée, faite de folie, de joie et d’un désir de vivre qui transcende les genres en variant les degrés du comique au tragique.
Bartula ou Bédard, c’est selon
Bartula est le nom de famille du fondateur du groupe, Igor Bartula. Pour lui, cette appellation est aussi une façon d’honorer la tradition musicale héritée de son père. Igor déplore toutefois que le nom de leur formation ne donne pas le crédit à tous ses membres.
Cependant, au fil des années, pendant lesquelles ils ont partagé leur projet et leurs expériences au sein, les musiciens de Bartula ont su créer un langage qui leur est propre et une identité hybride, à l’image du laboratoire musical savamment métissé qui les a inspirés. Igor Bartula, qui est le bassiste de la formation, a « québécisé » son nom en Bédard, tandis qu’Éric Charland, le batteur, s’est « serbocroatisé » en Ridi ; Jérôme Champagne-Simard, l’accordéoniste, est devenu Jeremija Sampanjac ; Martin Bournival, le multi-instrumentiste, a adopté le nom de Bournivaleski et Philippe Roy, à la guitare (qui ne pouvait pas être avec nous au Zénob), se fait aussi appeler Filip Kraljevic.
Malgré tout cet échange culturel, les musiciens, taquins un brin, avouent bien candidement ne pas comprendre les textes écrits en serbo-croate par leur bassiste. Nous avons bien sondé Bédard sur ses paroles, mais celui-ci nous a révélé, avec un petit malaise mais sans trop entrer dans les détails, qu’elles sont parfois un tantinet grivoises, ludiques, et truffées d’onomatopées et de doubles sens difficiles à traduire. Par ailleurs, Igor Bartula avoue humblement ne pas être un grand parolier. Il s’applique toutefois à créer un mariage cohérent entre des sonorités et des idées issues à la fois de sa langue maternelle et des langues française et anglaise, ce qui donne « un langage très musical et très percussif », enchaînera le sympathique Jeremija Sampanjac.
En dernière analyse, nous comprenons que, pour Bédard, cette façon de composer lui permet de renouer avec ses racines, avec le Bartula toujours présent, loin du Sarajevo de son enfance ; de garder actif ce lien intime qui n’est pas toujours accessible au public à travers les paroles, mais qui transmet allègrement la fièvre contagieuse que communique cette musique.
Alchimie de genres et d’intérêts
La première rencontre entre Igor Bartula et ses musiciens a aussi eu lieu au Zénob, confluent sans doute des esprits originaux. « J’ai tout de suite aimé jouer cette musique », diraconfie Éric Ferland, qui était accompagné de Jérôme Champagne-Simard ce soir-là. Les astres étaient déjà alignés pour que Martin Bournival se joigne à eux un peu plus tard, car le beau-frère de celui-ci jouait déjà avec Bédard au sein de Caïman Fu. Lorsque ce dernier lui a demandé s’il jouait de l’accordéon, Martin lui a répondu : « Non, mais je peux », et il s’y est mis illico. Philippe Roy s’est ensuite greffé au groupe, complétant ainsi la formation actuelle.
Cet esprit de connivence et de convivialité fait justement le charme de Bartula, car on y est transparent, on y rit de ses travers et tout appartient à tout le monde. Fort d’un bagage musical impressionnant glané à travers divers styles (jazz, funk, manouche, rock, punk) et écoles — Petits Chanteurs pour certains, cégep de Trois-Rivières pour d’autres — pour parfaire leurs compétences techniques, ces amoureux de la musique continuent de rouler leur bosse en se dédiant sans retenue à leur passion.
Une partie de cette tradition « en garde partagée », pourrait-on dire, et en évolution constante nous sera offerte dans le nouvel album dont Igor annonce le lancement officiel prochainement.
Suggestions musicales, en trois temps, que m’inspire l’écoute de l’album de Bartula
- Pour le côté ludique ainsi que pour le travail de sonorité : Man Man, un groupe originaire de Philadelphie, qui définit son style comme étant du « Viking vaudeville». À mon avis, l’album Six Demon Bag est épatant et On Oni Pond l’est tout autant, bien que plus dansant.
- Pour un autre clin d’oeil à Sarajevo : les albums d’Émir Kusturica (le cinéaste) avec son Non-Smoking Orchestra. La bande originale Chat noir/Chat blanc vaut le détour.
3. Pour une autre incursion dans un style voisin de Bartula : Sagapool, un groupe québécois anciennement nommé Manouche, dans leur très bon album Saint-Urbain café.
Voici deux vidéos que La Gazette de la Mauricie a réalisées avec Bartula. D’abord, une entrevue, puis une performance. Bon visionnement !
Pour plus d’informations :