Alain Dumas – janvier 2020
Le montant de la dette mondiale est passé de 110 000 à 190 000 milliards de dollars américains ($US) de 2007 à 2019; il équivaut aujourd’hui à 2,5 fois le PIB mondial. Si dans les années qui ont suivi la crise financière de 2008, cette hausse était attribuable à l’endettement public, il s’avère qu’elle est davantage causée par l’endettement des entreprises, dont le montant frise les 80 000 milliards $, soit l’équivalent de 100 % du PIB mondial. Selon la Banque du Canada, l’endettement se concentre dans les entreprises ayant une faible cote de crédit et un taux d’endettement qui atteint 315 % de leur profit brut.
Pour financer ces emprunts, les entreprises vendent des obligations sur les marchés financiers. Une obligation est un titre de dette d’une durée limitée qui prévoit le paiement d’un intérêt. Or, le marché de la dette des entreprises a connu un envol considérable au cours des dernières années. Le montant des obligations vendues par les entreprises a atteint un niveau record de 13 000 milliards $US en 2018, soit le double par rapport à 2008.
Une dette à risque élevé
Cette hausse inquiète la Banque des règlements internationaux (BRI), le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui constatent que cet endettement comporte une part élevée de prêts à risque. Ces obligations sont émises par des entreprises déjà très endettées, lesquelles disposent de peu de liquidités et de revenus insuffisants pour assumer les frais de leurs dettes (BRI, 2019). L’OCDE évalue à 6000 milliards $US le montant des emprunts de mauvaise qualité, dont 500 milliards $US sont considérés comme des obligations de pacotille, c’est-à-dire sans grande valeur.
On peut se demander qui sont les financiers qui osent prendre de tels risques et pourquoi ? Le contexte des faibles taux d’intérêt a incité des financiers à occuper le marché des prêts à risque des entreprises. Par exemple, ces financiers astucieux empruntent à des taux d’intérêt très bas des montants qu’ils prêtent à nouveau à des entreprises fragiles, mais à des taux d’intérêt beaucoup plus élevés, d’où la source du rendement élevé. Conscients que ces prêts sont très à risque, certains financiers revendent rapidement ces obligations en les incorporant dans de nouvelles obligations prometteuses de rendement élevé. C’est ce qu’on appelle la titrisation des titres de dettes.
Risque de crise
Tant et aussi longtemps que ces titres de dettes trouvent preneur, le marché poursuit son ascension. Cependant, comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2008, il arrive un jour où des emprunteurs n’arrivent plus à honorer leurs dettes. Dès lors, des mailles de la chaîne financière se fissurent et la confiance des investisseurs s’effrite. Le marché se retourne donc. C’est la crise. Ce jour se rapproche d’autant plus que ces entreprises hyper-endettées devront rembourser ou refinancer 4000 milliards $ d’obligations de dette risquées d’ici trois ans.
On peut enfin se demander à quoi ont servi tous ces emprunts à risque. Depuis 2015, ces emprunts à risque ont surtout servi à des rachats d’actions en bourse et à des versements de dividendes aux actionnaires, ou à des fusions et acquisitions d’entreprises. Autrement dit, une bonne partie de ces emprunts n’ont en rien contribué à améliorer l’économie réelle.
Sources:
Banque du Canada, Revue du système financier 2019, page 25.
OCDE, La montée des risques sur le marché de la dette des entreprises, 2019, https://www.oecd.org/fr/presse/la-montee-des-risques-sur-le-marche-de-la-dette-des-entreprises.htm
BRI, Rapport trimestriel, Septembre 2019 https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1909_ontherecord_fr.htm.
Conseil de la stabilité financière (FMI), Rapport sur la stabilité financière dans le monde, 9 octobre 2018, https://www.imf.org/fr/Publications/GFSR/Issues/2019/03/27/Global-Financial-Stability-Report-April-2019