chronique alain dumas économie

Depuis un siècle et demi, notre monde est dominé par un système productiviste qui repose sur la fabrication sans fin de produits que l’on jette souvent avant même qu’ils soient désuets. On qualifie ce système d’économie linéaire puisqu’il s’inscrit dans un processus « d’extraction-fabrication-consommation-élimination », comme si les ressources de notre planète étaient illimitées. 

Or, de plus en plus de voix s’élèvent pour remplacer ce système par une économie circulaire qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources. L’économie circulaire implique donc un processus de transformation qui n’a pas de dernière étape puisqu’il privilégie l’allongement de la durée de vie des produits en les réparant et les réutilisant, et la préservation des ressources en utilisant les déchets recyclés. 

Pour effectuer un tel virage, il importe de mesurer le degré de circularité d’une économie. La mesure utilisée consiste à évaluer la part des matières résiduelles recyclées (ciment, métaux, fumier, bois, etc.) dans la consommation totale de ressources d’une économie. Force est de constater que le Québec est faiblement circulaire avec un taux de 3,5 %, ce qui signifie qu’on réutilise seulement 9,4 millions de tonnes de ressources par rapport aux 271 millions de tonnes consommées chaque année. Le Québec accuse donc un retard par rapport à la moyenne mondiale de 8,6 %. 

L’urgence de la situation

Jamais dans l’histoire de l’humanité la transition vers une économie plus sobre n’a été aussi urgente. Notre monde est dominé par une logique d’extractivisme, qui consiste à extraire sans limite les ressources enfouies sous la croûte terrestre en vue d’alimenter une consommation toujours plus grande. Ceci a pour conséquence de prélever rapidement des ressources qui ont pris des centaines de milliers d’années à se former, ce qui entraîne une diminution rapide des stocks de ressources. En effet, le rythme d’extraction des ressources ne ralentit pas, il a doublé au cours des vingt dernières années, passant de 53 à 100 milliards de tonnes par an. 

Si rien ne change, bon nombre de ressources seront de plus en plus rares dans un avenir rapproché, en l’occurrence les ressources non renouvelables (énergies fossiles, métaux et minéraux, etc.), dont la quantité est fixe. Cette raréfaction des ressources aura comme conséquence d’attiser l’inflation, déjà qu’on observe une tendance à la hausse du prix des matières premières depuis une quinzaine d’années.

Même les ressources renouvelables (marines, forestières et agricoles) sont menacées, car leur exploitation dépasse leur renouvellement. Selon l’ONU, l’empreinte matérielle (la somme des ressources requises pour répondre à la consommation) augmente plus rapidement que la croissance démographique et économique. C’est pourquoi, chaque année, la date où l’humanité a consommé les ressources que la planète est capable de produire en un an (le jour du dépassement) est de plus en plus tôt dans l’année. Cela signifie que passé cette date, l’humanité puise dans ses réserves renouvelables. À titre d’illustration, les humains ont consommé l’équivalent de 1,75 Terre en 2022. 

Surconsommation et inégalité

Nous devons cependant relativiser la surconsommation actuelle, car seulement 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources de la planète. Si certains consomment trop, d’autres n’en ont pas les moyens. Les individus aux revenus faibles et intermédiaires consomment à peine 6,7 tonnes métriques par habitant, comparativement à 55,4 tonnes pour les revenus supérieurs. Cette surconsommation va donc de pair avec les inégalités, car les 10 % les plus riches de la planète captent la moitié du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n’en gagne que 8 %.  

Le Québec peut-il faire mieux ?

Devant l’urgence d’agir, de nombreux acteurs de la société explorent les avenues possibles d’une transition vers l’économie circulaire. Dans un rapport détaillé sur l’économie circulaire, on y souligne que le Québec pourrait tripler son taux de circularité de 3,5 % à 9,8 %, cependant que cela impliquerait la baisse de moitié de notre consommation de ressources. Parmi les mesures proposées, citons de nouvelles habitudes de consommation responsable: réduire la taille des bâtiments et recycler les résidus de construction; privilégier l’achat public de biens durables et à contenu élevé de matières recyclées; utiliser les résidus agricoles pour nourrir le bétail et le fumier comme engrais; intensifier la mobilité propre et développer le réseau de transport public; et enfin, réduire de 9 % l’empreinte matérielle dans la production manufacturière.  

Les limites de l’économie circulaire

Pour faire face aux enjeux des crises climatique et écologique, l’économie circulaire s’avère être une solution partielle et insuffisante. D’une part, l’économie circulaire ne peut se substituer à la transition énergétique, considérant que 62 % des gaz à effet de serre sont émis durant les phases d’extraction et de transformation des ressources. D’autre part, l’économie circulaire ne peut éluder la question de notre société de surconsommation et les limites de la croissance. Le capitalisme repose sur un fondement : la maximisation de la croissance économique et des profits. Enfin, notons que la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, dernier rempart du capitalisme, s’avère incompatible avec la nécessaire proximité des entreprises devant se coordonner dans une économie circulaire.

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