Carol-Ann Rouillard – décembre 2019
La tentative de réforme du système d’immigration lancée par le gouvernement caquiste était truffée de maladresses de toutes sortes : erreurs importantes dans la liste des programmes en demande, incohérences dans l’arrimage avec la réalité des régions. La mention du programme de sciences domestiques dans la liste de programmes en demande au Québec, qui aurait pu faire croire à une manœuvre politique tout droit sortie du siècle dernier, est pourtant devenue le symbole d’une réforme de l’immigration mal ficelée.
Ironiquement, le travail domestique enseigné dans un programme qui visait à modeler de bonnes mères et de bonnes épouses – ou, pour reprendre les mots du prêtre Albert Tessier en 1948, à mettre « avant tout l’accent sur la formation féminine, sur l’exaltation du rôle familial de la femme » – est en partie lié aux enjeux d’immigration et d’économie qui sont au cœur des débats du Québec d’aujourd’hui.
Un travail invisible
Bien que le travail domestique ne fasse plus l’objet de l’enseignement sur les bancs d’école, il n’a évidemment pas disparu pour autant. Au Québec, ce sont encore principalement les femmes qui prennent en charge la plus grande partie du travail ménager, domestique et familial. Des données de l’Institut de la statistique du Québec révèlent que le temps consacré par les hommes aux tâches ménagères a augmenté depuis les années 1990, mais qu’il est d’environ une heure de moins que les femmes chaque jour.
Par ailleurs, toutes les femmes ne sont pas non plus égales devant le travail domestique. « Ces inégalités, plus globales, touchent principalement les femmes immigrantes et racisées qui sont plus nombreuses à occuper des postes d’entretien ménager ou de soins aux personnes, tels que préposée aux bénéficiaires ou technicienne à la petite enfance », explique Camille Robert, doctorante en histoire à l’Université du Québec à Montréal, dont les recherches portent sur la reconnaissance du travail ménager au Québec.
Une situation à risque
Selon Camille Robert, l’accès d’un plus grand nombre de femmes au marché du travail et aux sphères du pouvoir est en partie responsable de ce phénomène : « L’émancipation des femmes et leur percée au sein des milieux politiques ou de pouvoir repose sur l’embauche d’autres femmes qui ont pris en charge une part du travail domestique. » Mais pour les travailleuses immigrantes, qui se trouvent dans des emplois souvent moins bien rémunérés et qui nécessitent peu de qualifications, les enjeux liés aux droits du travail et de la santé et sécurité sont bien présents. « Il reste du travail à faire pour libéraliser le vécu de ces femmes », ajoute madame Robert.

Photo: Emile Joachim Constant Puyo, Montmartre, CA, 1906.
Certes, la présence du programme en sciences domestiques dans la liste des programmes en demande a servi à illustrer le manque de préparation de la réforme d’immigration proposée par la CAQ. Mais justement, dans le contexte de ces réformes, d’une pénurie de main-d’œuvre qui ne fera que s’accentuer et des débats sur l’intégration des personnes qui arrivent en sol québécois, les enjeux pour les personnes qui effectuent ce travail s’avèrent bien réels.