Francis Bergeron – Histoire – Octobre 2021 Le 7 novembre prochain auront lieu les élections municipales québécoises. Par curiosité, je me suis demandé qui remporta les élections municipales trifluviennes il y a cent ans. C’est le docteur Louis-Philippe Normand qui fut élu maire de Trois-Rivières aux élections municipales du 18 juillet 1921. Le Dr Normand fut un éminent médecin chirurgien trifluvien qui fut de tous les combats de son époque.
Un fils distingué de la cité trifluvienne
Le Dr Louis-Philippe Normand naît le 21 septembre 1863 dans une des grandes familles bourgeoises trifluviennes[1]. Il est l’héritier du notaire, député conservateur provincial et fondateur du journal trifluvien Le Constitutionnel, Télesphore-Eusèbe Normand (1832-1918) [2]. Tout comme son fils le sera plus tard, T.-E. Normand fut maire de Trois-Rivières à deux reprises : 1873-1876 et 1889-1894[3].
Louis-Philippe Normand fit ses études au Collège de Trois-Rivières[4]. Il poursuit ensuite ses études de médecine à l’Université Laval de Montréal où il côtoie une autre personnalité trifluvienne connue et l’un de ses principaux adversaires politiques, l’avocat et ancien maire de Trois-Rivières Joseph-Adolphe Tessier[5]. Après avoir obtenu son diplôme de médecine en 1886, Normand retourne dans sa ville natale pratiquer sa profession. Parallèlement, il poursuit des études à Paris et aux États-Unis où il obtient un certificat du Chicago Polyclinic en 1896. Il fut d’ailleurs l’un des premiers chirurgiens à pratiquer à l’hôpital Saint-Joseph, en plus d’être propriétaire d’une pharmacie et copropriétaire, avec le docteur protestant Ernest Cross, d’un petit hôpital privé, l’hôpital Normand & Cross (1921-1928) [6]. Durant toute sa carrière, Normand œuvre pour diverses causes qui le tiennent à cœur, notamment la tuberculose, la mortalité infantile et la pauvreté. Il fut également un grand défenseur de la langue française.
Un homme engagé
Parallèlement à sa carrière de médecin, L.-P. Normand s’implique dans de multiples organismes. En compagnie du docteur Charles N. de Blois (1867-1952), il préside le Troisième Congrès des médecins de langue française en Amérique du Nord organisé à Trois-Rivières en 1906. L’année suivante, il devient président du Collège des Médecins et Chirurgiens jusqu’en 1914. Il débute au même moment un premier mandat à la mairie de Trois-Rivières de 1908 à 1913. Il remporte d’ailleurs ces élections trois semaines après le grand incendie de 1908, ce qui fera de lui le « maire de la reconstruction ». En 1909, il est nommé président de la première Caisse Populaire de Trois-Rivières. Il est élu maire pour une seconde fois de 1921 à 1923 en étant du même coup président du Conseil privé du Canada sous le gouvernement de coalition d’Arthur Meighan. À noter qu’il s’est présenté à deux reprises comme député conservateur aux élections fédérales de 1911 et 1921, mais sans être élu. De plus, il est nommé par Sa Sainteté Benoît XV commandeur de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand en 1921. Finalement en 1922, il devient le premier francophone à occuper le poste de président du Conseil Médical du Canada[7]. C’est ce qu’on appelle une vie bien remplie!
Son retour en politique municipale en 1921
Au tournant du XXe siècle, la partisanerie fait partie du paysage politique municipal, provincial et fédéral. Effectivement, « depuis la Confédération, l’électorat trifluvien choisit invariablement des représentants conservateurs aux gouvernements provinciales et fédérales [sic] »[8]. L’administration trifluvienne n’y échappe pas. Il faut donc attendre 1906 pour que la domination conservatrice cesse à Trois-Rivières avec l’arrivée au pouvoir du libéral François-Siméon Tourigny (1906-1908). Après un premier mandat significatif de Normand, c’est le retour des libéraux à la mairie avec Joseph-Adolphe Tessier qui remporte la totalité des six sièges[9]. Cependant, le mandat de Tessier (1913-1921) sera entaché par des scandales : conflits d’intérêts, malversation, magouille et pots-de-vin[10]. Le tout au cœur même de l’administration trifluvienne! Par conséquent, une enquête générale sera demandée afin de faire la lumière sur les actes reprochés.
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C’est donc le juge de la Cour supérieure Louis-Joseph-Alfred Désy qui est chargé de l’enquête. Le rapport déposé en 1921 n’aboutira finalement à aucune accusation et aucun procès. Malgré cela, un grand ménage s’annonce au sein de l’administration trifluvienne. Tessier quitte la vie politique municipale, ouvrant ainsi la porte au Dr Normand pour l’élection municipale de 1921. Affilié au parti conservateur canadien, Normand a le soutien de l’évêché et des élites trifluviennes. Il est même appuyé par le député fédéral libéral Jacques Bureau, le « grand patron des libéraux »[11]. Normand remporte une victoire facile contre l’échevin Arthur Bettez, successeur de Tessier[12]. En 1908, Normand était le « maire de la reconstruction, » alors que cette fois-ci, il est le maire de la « reconstruction morale »[13]. L’évêché, fort content de la victoire de Normand, il y voit le retour des conservateurs et de la moralité au sein de l’administration. Le Bien public abonde dans le même sens « en voyant triompher le parti de la vertu. L’évêché peut maintenant se rapprocher de la mairie, comme au temps de Mgr Laflèche. D’ailleurs, peu après l’élection, l’évêché et le nouveau maire vont lancer un projet hautement symbolique : l’érection d’un monument à Mgr Laflèche, qui vient de sceller dans le bronze la réconciliation de la mairie avec l’évêché »[14]. Le docteur Louis-Philippe Normand décède le 27 juin 1928 à l’âge de 64 ans. Au lendemain de sa mort, le Nouvelliste publie ceci : « Le souvenir de l’homme de science et du grand citoyen tendra à s’affaiblir avec les années, mais celui de l’homme de cœur, tendre, bon, humain, charitable, non pas seulement de son argent, mais encore de sa personne, de son talent, de sa science et de son dévouement, vivra longtemps »[15]. Effectivement, il vit toujours, car depuis 2008, un boulevard porte son nom et un monument commémoratif est érigé au parc Champlain à sa mémoire.
Sources
[1] François Roy, Le Crépuscule D’un Rouge : J.-A. Tessier, Maire De Trois-Rivières, Et L’enquête De Désy De 1920, Mémoire, Trois-Rivières, Université́ du Québec à Trois-Rivières, 1988, p. 21. [2] Beaulieu André́, Jean Hamelin. « La Presse Québécoise : Des Origines À Nos Jours » [Réédition] vol. 2. Québec, Presses de l’Université́ Laval, 1973, p. 114-115 ; Le Constitutionnel (1868-1884) est un journal qui défend la nouvelle constitution adoptée en 1867. [3] L’Assemblée nationale du Québec, Télesphore-Eusèbe Normand [En ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/normand-telesphore-eusebe-4637/biographie.html (page consultée le 12 septembre 2021). [4] Aujourd’hui le Séminaire Saint-Joseph. [5] Joseph-Adolphe Tessier fut maire de Trois-Rivières de 1913 à 1921 [6] L’hôpital Saint-Joseph se situe au 731 rue Sainte-Julie. Il porte maintenant le nom du Centre multiservices de santé et de services sociaux Saint-Joseph. [7] Jacques Bertrand, Louis-Philippe Normand, un trifluvien admirable, 2014, [En ligne] https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/docs/GSC1869/O0000997344_Louis_Philippe_Normand.jpg (page consultée le 12 septembre 2021). [8] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 578. [9] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 579. [10] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 581. [11] Histoire et patrimoine, L.-P. Normand, boulevard, [En ligne] https://www.v3r.net/culture/histoire-et-patrimoine/toponymie/toponyme/l-p-normand/ (page consultée le 9 septembre 2021). [12] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 582. [13] François Roy, « Une histoire de maire », Le Nouvelliste, Cahier 2, 3 novembre 1990, p. 1. [14] François Roy, Le Crépuscule D’un Rouge : J.-A. Tessier, Maire De Trois-Rivières, Et L’enquête De Désy De 1920, Mémoire, Trois-Rivières, Université́ du Québec à Trois-Rivières, 1988, p. 73. [15] Étienne Lamy, « Un deuil pour Trois-Rivières », Le Nouvelliste, 28 juin 1928, huitième année, no. 198, p. 4. BEAULIEU, André́, HAMELIN, Jean. « La Presse Québécoise : Des Origines À Nos Jours » [Réédition] vol. 2. Québec, Presses de l’Université́ Laval, 1973, 350 p. BERTRAND, Jacques. Louis-Philippe Normand, un trifluvien admirable, 2014, [En ligne] https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/docs/GSC1869/O0000997344_Louis_Philippe_Normand.jpg (page consultée le 12 septembre 2021). HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p. LAMY, Étienne, « Un deuil pour Trois-Rivières », Le Nouvelliste, 28 juin 1928, huitième année, no. 198, p. 4. ROY, François. Le Crépuscule D’un Rouge : J.-A. Tessier, Maire De Trois-Rivières, Et L’enquête De Désy De 1920, Mémoire, Trois-Rivières, Université́ du Québec à Trois-Rivières, 1988, 118 p. L’Assemblée nationale du Québec, Télesphore-Eusèbe Normand [En ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/normand-telesphore-eusebe-4637/biographie.html (page consultée le 12 septembre 2021). Histoire et patrimoine, L.-P. Normand, boulevard, [En ligne] https://www.v3r.net/culture/histoire-et-patrimoine/toponymie/toponyme/l-p-normand/ (page consultée le 9 septembre 2021).