Dans cette nouvelle chronique de La Gazette, qui paraît pour la première fois ce mois-ci, notre collaborateur René Gélinas propose d’examiner de plus près ces cueillettes de données par lesquelles l’opinion publique nous arrive. Celui-ci est chargé de cours à l’UQTR et est consultant en analyse de données.
Pourquoi les sondages ?
Les sondages font écho à l’opinion publique. Matière à questionnements et instruments de mesure, ils rapportent ce que l’on pense collectivement et orientent, certain-es, nos opinions individuelles.
Les sondages d’opinion abondent et mijotent à toutes les sauces : sondages marketing, sondages politiques, sondages d’acceptabilité sociale, sondages sur les tendances sociales et… sondages gouvernementaux.
Mesures de l’opinion publique – dépenses gouvernementales fédérales
Le gouvernement fédéral publie annuellement l’état de ses activités de recherche sur l’opinion publique. L’an dernier, 164 études ont été réalisées par une vingtaine de firmes de sondages, au coût de 20,3 millions de dollars.
Les libéraux raffolent de ces sondages ; ils en commandent pour 14,9 millions de dollars par année, en moyenne (2016-2023), lorsqu’ils sont au pouvoir. Pour les conservateurs, la valeur moyenne est beaucoup plus modeste, soit 5,3 millions de dollars annuellement (2010-2016). [1]
On veut notre opinion
Les sondages politiques sont très médiatisés et populaires. Entre le 7 janvier et le 10 octobre 2022, 60 sondages électoraux ont été répertoriés par le site Qc125.com en marge de l’élection provinciale. Aux États-Unis, l’ordre de grandeur est tout autre. À 7 mois du match revanche Biden / Trump, le site Realclearpolling.com dénombre jusqu’à 20 sondages nationaux et d’État… par jour !
Notre opinion, oui, on la veut. Sur toutes sortes de sujets : intentions de vote, acceptabilité sociale, retombées économiques du tourisme, satisfaction envers les services municipaux et même pour savoir si nous pensons que la terre est plate. [2]
Dans notre société, ils sont importants, ces sondages. Importants pour les médias, pour les politicien-nes, pour les firmes de sondages et aussi pour les citoyen-nes. Ils ne sont pas parfaits ni sans reproches. Ils sont parfois instrumentalisés de manière douteuse, mais ils sont aussi une manifestation d’une démocratie relativement saine.
Dans cette chronique…
Je propose d’examiner de plus près ces cueillettes de données par lesquelles l’opinion publique nous arrive. Différents sondages, sur des sujets variés, seront commentés, ce qui donnera l’occasion de parler d’opinion publique, de méthodologie, du fonctionnement des sondages, de la formulation des questions, de l’analyse des résultats et de leur interprétation. Cela permettra aussi une incursion dans l’histoire des sondages, histoire un peu surprenante parfois, et qui ne manque certainement pas d’intérêt.
Décoder un sondage
Un sondage estime (certain-nes diront mesure) l’opinion d’une population à partir des opinions individuelles d’une partie de cette population (les répondant-es). Le nombre de répondant-es est le nombre de personnes ayant effectivement répondu au sondage, et non le nombre de personnes contactées pour obtenir des réponses.
Sondage qui décoiffe
Le 15 février dernier, l’Union des producteurs agricoles (UPA) publiait une nouvelle mentionnant les résultats d’un sondage portant sur l’installation d’éoliennes en Mauricie, sondage « mené auprès de 507 propriétaires terriens dans les deux MRC concernées » peut-on lire. [3]
Au début du mois de mars, le journaliste Raphaël Brouillette, de Radio-Canada, a publié un texte affirmant que finalement, ce ne sont qu’une centaine de répondant-es qui ont effectivement participé au sondage de l’UPA. Environ 400 des personnes contactées se seraient envolées avant de répondre. [4]
Dans un sondage, plus le nombre de répondant-es est élevé, mieux c’est. Du moins c’est ce que croient, en partie avec raison, la plupart des personnes. Mais il est difficile pour plusieurs de bien comprendre qu’un sondage mené auprès de 507 personnes n’est pas un sondage avec 507 répondant-es pour les deux MRC (encore moins pour chacune des MRC). Il faut être clair : la différence entre le nombre de personnes contactées et le nombre de répondant-es n’est pas un détail anodin. L’influence que cela a sur la portée et la validité des résultats peut être énorme.
À propos du nombre de répondant-es
Le nombre de répondant-es est une caractéristique importante d’un sondage, mais sous certaines conditions qui ne sont pas toujours faciles à satisfaire ! Une de celles-ci est que les personnes répondantes soient représentatives de la population concernée par l’objet du sondage.
Pour y arriver, il faut :
- Soit un échantillon aléatoire (très difficile de nos jours) ;
- Soit un échantillon basé sur des critères de sélection qui feront que les principaux segments de la population susceptibles d’influencer les résultats auront une représentativité dans les mêmes proportions que dans la population (ce sur quoi les firmes de sondages misent de plus en plus).
Si l’âge est un des déterminants des réponses et que la population comporte 46 % de personnes de 30 à 64 ans, la proportion des répondant-es de ce groupe d’âge doit être aussi près que possible du 46 % de la population.
Il ne faut pas perdre de vue que si les sondages mesurent, les conditions de réalisation, l’analyse des résultats et l’interprétation qu’on en fait peuvent facilement mener à la démesure.