Tout droit sorti des presses de l’éditeur Québec Amérique, le dernier roman de Fanie Demeule, Du ventre des montagnes, est une sombre fable sur l’amour et le sacrifice.
Dans les obscures forêts du Kavela, endroit mystique de l’univers de l’autrice, vit Nan Sappo. Cette dernière est bercée par les histoires de son aïeule, Edda, qui semble tout savoir des origines du monde.
La mort d’Edda est suivie de la naissance de la dernière-née de la famille, Aino. Dès sa naissance, les deux sœurs sont inséparables. Grandissant dans un monde au rythme de l’artisanat, avec d’un côté le travail du métal et de l’autre celui du verre.
Un accident sera le début d’un long périple pour transformer les mythes en réalité et ramener à la vie la sœur morte prématurément.
Le mythe originel
Du ventre des montagnes porte le reflet d’un atavisme rythmé, à la poésie fine et sombre. Le récit bénéficie d’une langue soutenue, rajoutant à l’effet mythologique et immémorial.
Dans ce monde où beaucoup de détails sur l’univers sont laissés à l’imagination, la mythologie tient un rôle central. Dès le début du récit, le mont Eien se dessine à la fois comme l’objet de la quête de la protagoniste mais aussi comme un personnage à part entière. Nan s’approprie cet ordre du monde dans lequel elle évolue en pensant le changer.
Alors que le mont Eien rend supposément aveugle ceux qui en contemplent de trop proche les neiges éternelles, il a aussi le pouvoir de ramener les morts à la vie. Nan veut plier le monde à sa volonté et changer le cours du destin des trépassés.
L’écosystème romanesque développe ses propres contes : celui d’un prêtre qui dévore les morts, de femmes qui enfantent des animaux et d’amour mère-fille qui forme la genèse des montagnes et de la lune. Nan Sappo expérimente d’autres versions des mythes à mesure qu’elle explore le monde. Bien que sceptique lorsque sa cosmologie est choquée, elle se fera rappeler que les mythes sont dans un grand tout changeant, c’est au fond « la même histoire. Toutes les deux, la même histoire ».

Photo : Alexis Lambert / © La Gazette de la Mauricie et des environs
Une sororité viscérale
La relation entre sœurs tient un rôle central dans le récit, malgré le fait que la relation est à sens unique pour la majorité du roman. Aino interagit peu, ce qui fait d’elle l’objet de désir et d’obsession du héros du récit. Ce lien devient insoutenable et maternel au rythme des pérégrinations.
Le livre de Demeule est un récit troublant par ses thématiques et ses scènes graphiques. L’œuvre, comme la sororité qui en est le thème, est viscérale. La place de la mort et de la chair, mais aussi des extractions et des fluides, refroidiront les plus sensibles. Mais aussi horrible que ces moments soient, la somptuosité de la langue les rend superbes… presque beaux.