Par Louis-Serge Gill, Septembre octobre 2018
Le phénomène de l’embourgeoisement qui, selon l’Office québécois de la langue française, désigne la « transformation socio-économique d’un quartier urbain ancien engendrée par l’arrivée progressive d’une nouvelle classe de résidents qui en restaure le milieu physique et en rehausse le niveau de vie » n’est pas récent et les grands projets de réaménagements urbains sont monnaie courante.
À Trois-Rivières seulement, pensons à la mise en œuvre de Trois-Rivières sur Saint-Laurent, à la lisière du quartier Sainte-Cécile et à la transformation d’immeubles à loyer modique en copropriétés. En lien avec le présent dossier, nous jetons un regard sur les différents aspects de ce que l’on nomme aussi, la gentrification.
Avantages présumés
En juillet 2016, Vincent Geloso et Jasmin Guénette de l’Institut économique de Montréal (IEDM) publiaient un rapport succinct sur les « Bénéfices considérables de la gentrification ». Selon ce document, la revitalisation des « anciens » quartiers est garant d’une plus grande diversité sociale, notamment par l’entremise d’interactions entre des gens de différentes strates sociales, voire de statuts sociaux et d’origines diverses. Ainsi, la présence de citoyens de la classe moyenne dans un quartier populaire où se trouvent principalement des citoyens vivant en situation de pauvreté pourrait agir comme levier « d’ascension sociale ».
En guise d’illustration, l’IEDM suggère une offre de biens et services plus grande et surtout, plus variée. Alors qu’on associe souvent embourgeoisement et commerces spécialisés (café ou épicerie fine, par exemple), les auteurs anticipent plutôt un phénomène de croissance économique et l’installation de magasins à grande surface dans ces quartiers anciennement « populaires ». Ces magasins assureraient donc la création de plusieurs emplois au cœur même d’un quartier en quête de renouveau. De plus, nous pourrions parier que les produits y seraient vendus à coûts plus abordables. Or, cela demeure bien théorique. La principale contestation à l’endroit de l’embourgeoisement tient dans la délocalisation massive de citoyens de classe sociale inférieure.
Autrement dit, la partie de la population dont la situation financière est la plus précaire se trouverait plus démunie et se verrait contrainte de migrer vers un autre quartier « populaire ». Ce faisant, pour chaque initiative d’embourgeoisement, il se trouve des citoyens pour proposer des possibilités autres.
Reproches et solutions
L’embourgeoisement n’est pas qu’un phénomène économique. La délocalisation potentielle des habitants d’un quartier prend des dimensions humaines. À titre d’exemple, Julien Simard, doctorant en études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), publiait en 2017 les résultats d’une étude sur l’exclusion territoriale des personnes âgées. La problématique est simple : ces personnes qui résident depuis longtemps dans le même logement ont rarement vu le montant de leur loyer mensuel augmenter. L’exclusion territoriale se met en place sournoisement, notamment par la fermeture d’espaces de socialisation traditionnels (bingo ou clubs de l’âge d’or). Afin de contrer cette exclusion progressive, il faudrait mettre en place des mesures qui, au contraire, renforcent le sentiment d’appartenance, comme les comités de logements.
Dans l’ensemble, les solutions à l’embourgeoisement sont multiples et sont orientées vers le regroupement des individus et non vers leur dispersion. Les logements sociaux, les comités de quartier, les initiatives communautaires constituent autant de gestes significatifs dans la revitalisation d’un quartier. En somme, l’embellissement d’un quadrilatère, l’aménagement d’espaces verts, l’ouverture de commerces spécialisés ne devraient jamais être un rideau derrière lequel on cache une partie de la population ; celle qui vit dans la précarité et la pauvreté.
Sources
GELOSO, Vincent, GUÉNETTE, Jasmin, « Bénéfices considérables de la gentrification », https://www.iedm.org/sites/default/files/pub_files/lepoint1116_fr.pdf.
Radio-Canada, « Des pirates dénoncent « l’embourgeoisement » et « la privatisation » du canal de Lachine », 9 juin 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1106117/residents-sud-ouest-canal-lachine-embourgeoisement-condos-montreal
SIMARD, Julien, « La participation de personnes vieillissantes dans les comités de logements à Montréal : composer avec l’exclusion sociale », Lien social et politiques, 2017, no 79, p. 170‑192.
VIANNAY, Patricia, LECAVALIER, Émilie et MAGNIER, Caroline, « Lutte contre l’embourgeoisement : des solutions existent », La Presse +, 1er juin 2018. http://mi.lapresse.ca/screens/0c79f649-e6d3-45f6-bc80-74bd8ab52e79__7C___0.html