L’animatrice de Racines mauriciennes, Valérie Deschamps, nous propose de l’accompagner à travers son périple en Mauricie alors qu’elle va à la rencontre de Pierre, Louise, Simone et bien d’autres personnes aînées de notre territoire à la recherche des histoires fascinantes du monde ordinaire; ces histoires qui au fil du temps ont tricoté notre identité collective régionale. Cette série est produite par La Gazette de la Mauricie et présentée par la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie. Elle est aussi rendue possible grâce à la contribution du Gouvernement du Québec et de son programme Québec ami des aînés.
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Une dynastie de pionniers et de pionnières. C’est ainsi que je qualifierais la famille Caron. Des défricheurs, des bâtisseurs, des architectes de la nouveauté. Présents depuis le tout début de la colonie française, les Caron ont fait leur place sur le territoire québécois. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe, c’est le tour de Gaétan Caron et sa femme Christiane Julien d’entrer dans la tradition familiale et de faire partie de nos Racines mauriciennes. Le printemps s’installait lors de notre visite dans le secteur Saint-Louis-de-France. Les dernières neiges fondaient au soleil qui lui, réchauffait le toit de tôle de la vieille demeure de la rue Louis-de-France. C’est que cette maison, ainsi que celle voisine, appartiennent aux Caron depuis de nombreuses générations. «C’était mon arrière-grand-père qui habitait ici. À côté, c’est mon grand-père qui l’a construite après s’être marié. Aujourd’hui, j’habite là où mon arrière-grand-père a vécu et ma fille, où mon père et moi avons grandi. Après toutes ces années, c’est encore dans la famille !», raconte fièrement Gaétan. Ouvert comme un livre d’histoire, le propriétaire de la Ferme Caron nous amène sur les traces de ses ancêtres. «Si on remonte au tout début, le premier à être arrivé ici s’appelait Robert. Il travaillait pour la Compagnie des Cent-Associés. Il avait un genre de contrat avec eux-autres et après X nombre d’année, il était libéré, pouvait rester ici et avoir un lot», explique l’agriculteur. Par la suite, les descendants de Robert se sont installés un peu partout. Passant par la Côte de Beaupré et par Saint-Roch-des-Aulnaies, certains ont fini leurs vieux jours en Mauricie. Le premier à arriver dans la région, c’est Antoine Caron. Son fils avait une terre sur le rang Beauséjour à Louiseville (anciennement Rivière-du-Loup en haut), sur le bord de la rivière Maskinongé. Ses deux fils, quant à eux, sont venus s’installer ici, dans le comté de Saint-Maurice. «Parce que Saint-Louis faisait partie de Saint-Maurice à l’époque», élabore Gaétan. C’est donc depuis la fin du XIXe siècle que les Caron sont sur ces terres. «Moi, je suis la sixième génération, ma fille la septième et mes petits-enfants la huitième dans la maison. On s’échange ça d’une génération à l’autre. Tant que ça reste dans la famille!» ajoute-t-il en riant.
Une situation particulière
Mais l’agriculture, ça change, ça évolue. Dans le dernier tiers du XXe siècle, il devient difficile pour les petites fermes de survivre au Québec. Les investissements en argent et en temps deviennent trop importants pour les propriétaires. Cette situation n’a pas épargné le père de Gaétan, alors propriétaire à l’époque. C’est à ce moment que tout s’est organisé pour le couple Gaétan-Christiane. «Disons que l’occasion s’est présentée. On s’est dit que c’était le temps ou jamais. Moi ça m’intéressait et je savais que c’était important pour Gaétan», raconte Christiane. «On était jeunes un peu par exemple», rajoute Gaétan de bon cœur! Jeunes certes, mais remplis d’ambition.
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Avant leur arrivée, la ferme n’était pas dans sa meilleure posture. « Il restait à peu près 7 ou 8 vaches, mon oncle ne pouvait plus aider mon père. Lui entretenait juste les terres pour ne pas que ça pousse en friche! », explique Gaétan. « Il faut dire que la ferme de mon père, c’était une petite ferme laitière dès le début. Quand j’étais jeune, on avait 10 à 12 vaches qu’on trayait à la main. Mais vers la fin, on n’avait plus vraiment de vaches laitières. C’était seulement pour la boucherie », se souvient l’agriculteur. « Et disons que pour nous, c’était impensable de poursuivre dans cet angle-là », renchérit Christiane.
Un projet à leur image
Et comme je l’affirmais d’entrée de jeu, les Caron, ce sont des architectes de la nouveauté. Dès qu’ils sont devenus propriétaires, ils ont décidé d’aller à contre-courant. « On voulait garder une petite ferme. On ne voulait pas de grosse ferme. On la voulait à dimension humaine. Ça été un peu ardu. On cherchait un créneau, aussi. » explique Christiane esquissant un sourire complice vers son partenaire. Après quelques années dans la production laitière et bovine, les Caron ont opté pour une nouvelle approche. Nouvelle pour eux, mais également pour l’industrie dans les années 1980 : l’agriculture biologique. «La première fois que je suis allé voir un agronome, on venait d’acheter et je lui ai dit que je voulais possiblement faire du bio. Il m’a répondu : «Moi changer quatre trente sous pour une piastre, là !» Mais quelques temps après, cet agronome-là est devenu un vendu du bio !», révèle Gaétan. «Il faut dire que les fraises biologiques, ça n’existait pratiquement pas!», renchérit Christiane. «Gaétan a lu beaucoup et est autodidacte. Il s’est d’ailleurs beaucoup impliqué dans la fondation du mouvement pour l’agriculture biodynamique, le MABD», raconte-t-elle avec fierté. En plus des fraises bio, le fromage de chèvre s’implanta à la Ferme Caron. C’est au retour d’un voyage en Europe que le couple a eu l’idée de se lancer dans cette nouvelle aventure. «Le fromage de chèvre au Québec, en 1987, il n’y en avait presque pas. C’est drôle parce qu’on faisait toutes sortes d’expositions et de foires alimentaires. Certains étaient intéressés, mais la majorité étaient distants», se rappelle Christiane. «Ça a pris au moins 20 ans avant que ça prenne de l’ampleur», ajoute Gaétan. Défis après défis, la Ferme Caron a fait honneur à la tradition familiale et a, elle aussi, fait sa place dans l’histoire familiale. Et parce que comme pour un champ, ça peut être long récolter ce que l’on a semé et qu’il faut y croire : «Si tu vois surtout tous les défis que tu as a surmontés, tu laisses souvent tomber au début. Tu as le projet, tu as l’ambition. Tu te lances. Tu abats les murs à mesure.»