Montage pour Chronique Sondage de René Gélinas

PRÉCÉDEMMENT… L’année 1948 a été une source de controverses et de remises en question du travail des firmes de sondage. Non seulement les bonzes du coup de sonde ont erré, mais leurs mauvaises performances ont aussi occupé une place de choix dans les médias. On peut parler d’un scandale pour l’époque tellement la nouvelle façon de sonder était prometteuse et avait la confiance des médias et du monde politique.

La déception, bien sûr, était à la hauteur des attentes, et l’indignation s’est transformée en demandes d’explications et en pointages du doigt.

À lire : Histoires de sondages – partie I

À lire : Histoires de sondages – partie II

À lire : Histoires de sondages – partie III

Les firmes de sondage se font réprimander

Gallup et ses acolytes se sont trompés et la férule pince sévèrement. Ils ont prédit le mauvais gagnant. De surcroît, la confiance dont ils bénéficiaient a gonflé l’ampleur de l’erreur en donnant aux résultats des sondages une aura de certitude, ce que les médias n’ont pas manqué d’exploiter. Lorsqu’un journal comme le Chicago Daily Tribune (journal par ailleurs d’allégeance républicaine) annonce le mercredi 3 novembre 1948 que Dewey a défait Truman, la nouvelle est pour le moins surprenante. L’élection a eu lieu la veille, et le nouveau président élu est en fait Harry Truman.

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Le choc a été tellement grand que les firmes de sondage n’ont pas eu d’autre choix que de se remettre en question. De toute façon, même si elles ne l’avaient pas fait, d’autres s’en seraient chargés à leur place. Une enquête indépendante a été menée par le US Social Science Research Council (SSRC). Au terme de ses travaux, l’organisme indépendant a identifié les principales sources d’erreurs des sondages. [1]

Les causes du dérapage

L’allégeance républicaine du journal renforce la conviction en la victoire de Dewey : il est plus facile de croire en quelque chose de plaisant ! Mais Gallup avait aussi un penchant républicain et sa confiance en ses sondages s’est muée en optimisme quant aux résultats. Finalement, les analystes politiques que le journal consultait accordaient de la crédibilité aux sondages donnant Dewey gagnant. Tout cela mis ensemble, on se retrouve avec un biais de confirmation bien dodu qui ne demande qu’à se manifester !

Les relations de travail au Chicago Daily Tribune

Le Chicago Daily Tribune devait composer avec une grève des typographes et employés d’imprimerie chargés de la composition et de la mise en page des textes. Le journal avait donc instauré une façon de fonctionner temporaire qui exigeait toutefois un délai de production plus long et nécessitait donc une heure de tombée plus hâtive. Cette heure de tombée hâtive a fait qu’il n’était pas possible d’attendre des résultats tardifs plus précis concernant au cours de la soirée électorale. Au moment de mettre sous presse, la victoire de Dewey était toujours une éventualité plausible et, mentionnons-le de nouveau, souhaitable pour le Tribune, ses conseillers et Gallup.

Cessation hâtive des sondages

Une autre cause, qui est souvent identifiée comme très importante, est l’arrêt des sondages deux semaines avant l’élection. C’était trop tôt. En deux semaines, bien des choses peuvent se produire, et, dans ce cas, un swing en faveur de Truman a justement changé le résultat de la course. Selon Gallup, ce qui s’est produit est l’effet de sympathie envers le retardataire. [2] Ce revirement de dernier instant dans les intentions de vote n’a pu être détecté, faute de sonder à un moment plus rapproché de l’élection.

Le SSRC, dans son enquête, a aussi mis en évidence les points suivants :

  • la méthode d’échantillonnage avait induit un biais dû à une surreprésentation, dans les échantillons, des répondant-es à revenus moyens et élevés, qui ont davantage tendance à voter républicain (comme dans le cas du Literary Digest en 1936) ;
  • le questionnaire n’a pas mesuré les intentions de participation à l’élection et, en omettant de demander aux gens si, effectivement, ils iraient voter, les résultats tenaient compte autant des intentions de vote qui ne se concrétiseraient jamais que de celles des répondant-es indiquant qu’ils iraient voter ;
  • les indécis-es n’ont pas fait l’objet d’une redistribution systématique et objective entre les candidats ;
  • l’échantillonnage était par quotas (sélection de convenance jusqu’à l’obtention du nombre requis – le quota – pour un sous-segment de la population) et non un échantillonnage probabiliste stratifié où les segments (strates) sont identifiés a priori, suivi d’une sélection aléatoire des répondants dans chacune des strates.

J’aimerais ici revenir sur l’arrêt hâtif des sondages. Évidemment, la leçon à tirer est qu’il faut sonder jusqu’à la date la plus rapprochée possible de l’élection. Si simple à énoncer soit-il, ce remède implique son lot d’obstacles. Premièrement, même avec les technologies modernes (les panels web, par exemple), les sondages demandent un certain délai de réalisation. Dans le cas des élections récentes (provinciales et fédérales), tous les grands sondages sont faits soit à partir de panels web (ou d’autres modalités en ligne) ou par appels automatisés. Cela demande quand même au moins deux à trois jours de cueillette de données [3] après quoi les résultats peuvent être publiés le lendemain ou le surlendemain.

Le grand avantage d’avoir les derniers sondages très près de la date de l’élection est qu’il y a moins de risques que l’opinion publique se réoriente significativement entre la fin du sondage et le vote. Cependant, le risque pour une firme de sondage est que si elle se trompe, il n’est plus possible d’invoquer le délai entre le sondage et le vote pour justifier l’erreur.

Pour en revenir à l’élection américaine de 1948, en plus des conclusions du SSRC, d’autres critiques ont été adressées aux firmes de sondages, et à Gallup en particulier. Une de celles-ci a été le manque de réserve dû à un excès de confiance. Le fait que l’écart entre les deux candidats, selon les sondages, était de cinq points laissait pourtant voir que malgré les résultats des sondages, il demeurait possible que Truman dépasse Dewey. La course se jouait essentiellement entre ces deux candidats et le phénomène de dispersion des votes entre d’autres tiers candidats ne pouvait avoir d’impact significatif. Évidemment, Gallup et les autres firmes de sondage ne souhaitaient pas forcément une telle prudence dans l’analyse des résultats des sondages. Si toutes les firmes étaient tellement prudentes qu’elles ne se compromettraient que dans les cas de certitude quasi absolue, en quoi l’exercice serait-il intéressant pour la population et les médias ? Si les sondages ne faisaient que révéler l’évidence, quelle serait leur valeur ajoutée ?

Pour conclure, un autre reproche adressé à Gallup a instauré une certaine amertume entre le monde des sondages, la population en général, les politiciens et politiciennes et les médias : sa proximité avec le candidat Dewey. Pendant un certain temps, la réputation de George Gallup a été mise à mal sous prétexte que son optimisme envers la victoire du républicain aurait été un facteur important dans la décision du Chicago Daily Tribune de mettre à la une la victoire du perdant !

Références
[1] Moon N., Opinion Polls, Manchester University Press, 1999.
[2] Les élections provinciales de 2014 en sont un exemple. La Coalition Avenir Québec (CAQ) a surpris quelque peu avec une remontée marquée. Dans les premiers moments de la campagne électorale, les intentions de vote pour la CAQ affichaient un taux aussi bas que 13 % (sondage CROP dans La Presse le 18 mars 2014). Un peu plus de deux semaines plus tard, un sondage Léger Marketing publié trois jours avant les élections dans le Journal de Montréal donnait à la CAQ des intentions de votes de l’ordre de 23 %. C’est exactement ce que la CAQ a obtenu le jour des élections, soit une remontée de 10 points de pourcentage dans les intentions de vote en 17 jours.
[3] Les seuls sondages qui ne demandent qu’une seule journée de cueillette de données sont les sondages IVR (Interactive voice response ou sondages à réponses vocales interactives), sondages robotisés qui sont loin de faire l’unanimité en contexte de sondages d’opinion comme ceux qui mesurent les intentions de vote.

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