René Hardy, décembre 2014
Autrefois nommée Sainte-Marguerite, cette rivière reçoit le nom officiel de Milette en 1978. C’était d’ailleurs sous ce nom que les habitants la désignaient depuis au moins les années 1880. Elle fut jadis importante dans la vie quotidienne des Trifluviens, mais elle est aujourd’hui mal aimée de ceux qui subissent ses inondations printanières. Retraçons ses multiples usages : un pouvoir hydraulique, la pêche à la truite, un étang pour fabriquer de la glace, un lieu de villégiature.
En 1792, on érige un moulin à eau sur son parcours, au pied du coteau, là où se trouve aujourd’hui l’étang Milette sur le terrain de l’Université, à l’angle du boulevard des Récollets et du chemin Sainte-Marguerite. L’étang existe toujours en 1879 car il est cartographié par Hopkins et, à la fin du siècle, les Milette y exploitent un moulin à farine et à carder.
C’est sur cet étang artificiel créé par le barrage que la famille Milette lance une entreprise de fabrication de glace qui allait alimenter les foyers trifluviens pendant un demi-siècle. À chaque hiver, à compter des années 1900, les employés taillent des cubes de glace sur l’étang et les entreposent dans une glacière imposante qui peut en contenir jusqu’à 7 000 tonnes. Les cubes sont déposés les uns sur les autres et espacés d’une couche de paille pour éviter qu’ils se soudent.
La livraison débute avec les chaleurs de la fin d’avril. Il faut alimenter la glacière familiale devenue un équipement domestique de plus en plus fréquent depuis la fin du 19e siècle. À chaque jour, les voitures à cheval des Milette parcourent les rues de Trois-Rivières et livrent cette glace indispensable à la conservation des aliments. La température froide de septembre met fin à ce commerce saisonnier qui se maintiendra jusqu’à l’arrivée des réfrigérateurs électriques au cours des années 1950.
La rivière connaît aussi d’autres usages. Alors que certains la fréquentent pour la pêche à la truite, des membres éminents de la bourgeoisie découvrent ses charmes bucoliques et veulent en tirer profit pour y créer un lieu de villégiature. En 1895, ils forment une association incorporée sous le nom « Cercle Villa Mon Repos » et font ériger un lac artificiel.
Le projet suscite l’enthousiasme. Une quarantaine de personnes acceptent de s’y engager, tous membres des professions libérales, commerçants ou manufacturiers, dont le député et ministre provincial J.-A. Tessier et le député fédéral, ministre puis sénateur, Jacques Bureau. Une dizaine d’entre eux s’y font construire un chalet. Ce lac était situé à la hauteur de l’actuel boulevard Rigaud, derrière l’école Keranna.
De cercle privé qu’il est à sa fondation, Villa Mon Repos s’ouvre au public par l’intermédiaire des clubs sociaux qui y tiennent des journées bénéfices au profit de leurs œuvres. Le comité directeur organise aussi des pique-niques ouverts au public.
L’intérêt des propriétaires décline, puis se perd au début des années 1930. L’association est dissoute en 1932, les chalets détruits ou déménagés et le terrain mis en vente. Le barrage abandonné, le lac se vide à la fin des années 1940. Les Filles de Jésus acquièrent le terrain en 1936 et y font construire une maison pour le gardien. Elles s’y rendent se reposer les jours de congé, puis en viennent à occuper le site en construisant Keranna en 1962.