Un texte de Myriam Paré-Ethier
La pratique sage-femme est une profession encore méconnue au Québec, car seulement 4% des grossesses dans la province sont accompagnées par celles-ci. Comment se fait-il que cette pratique, légalisée depuis plus de 20 ans et offerte gratuitement, reste aussi difficile d’accès ? Que peut-elle réellement apporter aux personnes vivant une grossesse ?
Un regard au-delà des préjugés
Le documentaire Sages et rebelles de Claudie Simard (2023) illustre la réalité de la pratique sage-femme partout au pays. Du Québec jusqu’à la Colombie-Britannique, les praticiennes luttent depuis près de 50 ans pour la reconnaissance de leur expertise et la place qu’elles peuvent prendre dans l’accompagnement des grossesses.
Les entrevues effectuées auprès des praticiennes canadiennes démontrent que cette lutte fait face à plusieurs résistances, malgré certains gains au cours des dernières années. Une grande méconnaissance est présente autant dans la population générale que parmi les professionnels de la santé. Parmi plusieurs préjugés associés aux sages-femmes, on remet en doute leur capacité et leur compétence médicales afin de prendre l’accouchement en charge de façon sécuritaire. Cette méconnaissance entraine un blocage sur le plan du référencement ainsi que de la demande de service de façon plus large. Pourtant, il est important de se rappeler que chaque sage-femme a complété plus de quatre ans d’études supérieures, en plus d’être encadrée et réglementée par l’Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ). Cette expertise leur permet d’accompagner et d’outiller les femmes afin qu’elles puissent prendre des décisions éclairées et adaptées à leurs souhaits ainsi qu’à leurs besoins. Leur rôle consiste à effectuer le suivi périnatal, à assister aux accouchements et à effectuer le suivi jusqu’à six semaines postnatales pour la mère et son enfant.
Au Québec, les sages-femmes peuvent offrir leurs services à domicile, en maison de naissance ou même en milieu hospitalier. Cependant, certaines peurs persistent quant au fait d’accoucher chez soi. La remise en question de la « sécurité » de la mère et de l’enfant est un argument souvent avancé pour discréditer la profession. Cependant, le rapport sur L’État de la pratique sage-femme dans le monde publié par l’UNFPA, l’OMS et l’CM en 2021 stipule que « doter les soins dispensés par les sages-femmes de toutes les ressources nécessaires d’ici 2035 permettrait d’éviter 67 % des décès maternels, 64 % des décès de nouveau-nés et 65 % des morts-naissances ».
Une contrepartie au modèle médical actuel
Il ne faudrait pas oublier que le concept de sécurité est également plus large que le simple recours aux interventions chirurgicales. La médecine moderne présente une zone d’ombre lorsqu’elle tente d’uniformiser le processus des naissances, en oubliant la complexité et la diversité des expériences émotionnelles, culturelles, spirituelles, psychologiques et physiques des femmes.
Pour certaines d’entre elles, comme celles de la communauté crie de Chisasibi, avoir recours au modèle médical actuel implique un déplacement en avion à plus de 900 km de leurs proches. De plus, la réalité est qu’elles ne seront pas prises en charge par un professionnel qui maitrise leur langue. Le suivi avec une sage-femme à domicile permet un respect de la réalité culturelle. Il offre également l’opportunité aux personnes autochtones d’avoir accès aux soins et services post-accouchement auxquels elles n’ont habituellement pas accès lors du retour à la maison.
En ce sens, il est évident que cette profession s’inscrit parfaitement dans le mouvement féministe puisqu’elle prend racine dans la relation avec la femme, qu’elle considère la première personne responsable de sa santé et de son corps. Andrée Rivard l’exprime bien dans son livre Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne lorsqu’elle affirme : « ne pas reconnaître le libre arbitre des femmes en matière de mise au monde et leur refuser le premier rôle en ce domaine équivaut pourtant à les inférioriser. » Un des objectifs de démocratiser cette pratique est donc d’offrir aux femmes une liberté de choix et d’expression.
L’exercice de la profession de sage-femme au Québec est une ressource inestimable pour le suivi des grossesses, en dépit des défis et des idées reçues qui subsistent. Grâce à leur savoir-faire et leur engagement, appuyées par un enseignement approfondi et une réglementation précise, les sages-femmes proposent une prise en charge des soins axée sur les besoins spécifiques de la femme et de sa famille, favorisant leur autonomie et leur bien-être. Il demeure crucial de poursuivre les efforts d’éducation et de sensibilisation auprès du grand public et des acteurs du domaine médical quant à l’importance de cette profession afin d’en améliorer l’accès et la reconnaissance en tant qu’élément clé de la santé périnatale.