On parle souvent d’injustices comme si c’était quelque chose qu’on pourrait reconnaître facilement, mais, dans les faits, c’est souvent plus compliqué que cela. Il arrive qu’on défende des systèmes qui nous désavantagent et qu’on accepte des inégalités comme si elles étaient normales. Ce n’est pas juste une question de mauvaise foi ou de manque d’information. C’est aussi une question de biais cognitifs.
Le besoin de croire que le monde est juste
La théorie de la justification du système nous aide à comprendre pourquoi on accepte parfois l’inacceptable. Elle stipule qu’on a une tendance naturelle à défendre l’ordre social en place, même quand il est injuste et qu’il nous nuit. Pourquoi ? Parce que ça nous rassure. Croire que le monde est juste et que les gens ont ce qu’ils méritent nous évite de ressentir trop de colère ou de frustration. Pourtant, on aurait avantage à ressentir ces émotions puisque ce sont elles qui nous poussent à agir et à changer les choses.
Des études ont démontré que plus une personne croit que le système est juste, moins elle est susceptible de vouloir le changer [1]. Et ce sont parfois les personnes qui auraient le plus besoin de changement qui le réclament le moins. On a démontré, par exemple, qu’en Bolivie des enfants de milieux défavorisés étaient plus enclins à percevoir leur gouvernement comme juste que ceux de milieux plus aisés. Ce genre de résultat, aussi contre-intuitif soit-il, nous force à réfléchir à notre propre rapport à l’injustice ici au Québec.
On vit dans une société qui se dit égalitaire, solidaire et progressiste. Cependant, les inégalités sont bien présentes. On peut penser à l’accès inégal au logement, à l’éducation et aux soins de santé. C’est difficile à comprendre, mais il se pourrait qu’on ait intégré l’idée que « ça pourrait être pire », ou que « c’est beaucoup moins pire qu’avant ». Et quand on est soi-même pris-e dans le système, on peut finir par croire qu’on mérite notre sort.
Ce biais cognitif est assez sournois et il agit un peu comme un anesthésiant social. Il nous empêche de ressentir pleinement l’injustice et donc de la contester. Aussi, plus on fait face à des discours qui normalisent les inégalités, plus on risque de les intégrer. C’est pour cette raison que les récits, les témoignages et les expériences vécues sont si importants. Ils permettent de remettre en question ce qu’on croyait.
Quand le confort freine le changement
Les initiatives en équité, diversité et inclusion sont présentes, mais elles rencontrent souvent de la résistance. Quand on est habitué-es à un système qui nous avantage, même un tout petit changement peut nous sembler injuste. La théorie de la justification du système nous fait croire que les choses sont déjà équitables et que les efforts pour corriger les inégalités sont exagérés, voire dangereux. C’est aussi mon constat dans mon quotidien de formatrice. Je vois souvent des gens bien intentionnés, mais qui peuvent se sentir attaqués ou déstabilisés par des initiatives qui visent pourtant à créer un environnement plus juste.
On voit aussi apparaître des stéréotypes compensatoires, comme dire que « les personnes en situation de handicap sont courageuses ». C’est une façon de rendre la discrimination plus acceptable et de diminuer l’inconfort qu’on ressent face à une injustice. Nos croyances politiques jouent aussi un rôle puisque les personnes plus à gauche vont souvent chercher à nuancer les inégalités et à les expliquer par des facteurs sociaux. Celles qui sont plus à droite vont avoir tendance à les justifier en disant que les gens n’ont qu’à travailler plus fort [2]. Ces façons de penser influencent directement notre tolérance face aux injustices.
Alors, pourquoi défend-on l’injustice ? Parce que c’est plus confortable. Remettre en question le système demande du courage et de l’énergie, mais si on veut avancer vers une société plus équitable, il faut accepter de vivre un certain inconfort. Il n’y a malheureusement pas de recette magique, mais il existe quelques petites actions qu’on peut entreprendre comme se montrer réellement à l’écoute de l’Autre. Parce que ce sont souvent les personnes qui ne parlent pas qui ont le plus besoin d’aide. Le silence ne veut pas dire que tout va bien. Il peut être au contraire le signe qu’on a perdu espoir ou qu’on ne croit plus que les choses peuvent changer. Et c’est exactement à ce moment qu’on doit intervenir, non pas en imposant des solutions, mais en créant des conditions où les gens peuvent s’exprimer.





