« Le ciel est bleu, l’enfer est rouge », une phrase bien célèbre de l’histoire du Québec, trouve en grande partie son origine dans la région de la Mauricie. Voici un retour sur ses origines. François-Xavier-Anselme Trudel (1838-1890), député de Champlain de 1871 à 1875 et sénateur de 1873 jusqu’à sa mort, est une des plus importantes voix de son époque qui réclamaient la suprématie de la religion catholique sur le politique. [1] Fils de cultivateur, il est destiné à devenir prêtre et reçoit une éducation en ce sens. Il opte finalement pour la pratique du droit, ce qui le conduit presque naturellement vers une carrière politique.

Trudel adhère rapidement à l’idéologie ultramontaine, notamment défendue par l’évêque de Trois-Rivières, Mgr Louis-François Richer Laflèche (1818-1898). Cette doctrine, qui affirme la suprématie du pape, défend la primauté de l’Église sur tous les domaines de vie, en particulier sur l’administration civile. Trudel revendique donc la subordination de l’État québécois à l’Église catholique. Il défend cette idée en collaborant à plusieurs journaux et périodiques, dont la Revue canadienne.

En 1870, Trudel se fait connaître en défendant la paroisse Notre-Dame contre la veuve de Joseph Guibord, un imprimeur libéral à qui l’Église a refusé le repos en terre chrétienne pour avoir publié des textes jugés radicaux et dangereux. Trudel profite de la tribune pour défendre ses idées sur les relations entre l’Église et l’État. Il perd sa cause et la paroisse Notre-Dame est forcée d’accueillir la dépouille de Guibord dans son cimetière. Trudel acquiert malgré tout une réputation de héros dans les cercles ultramontains.

À l’approche des élections québécoises de 1871, Trudel et une équipe de collaborateurs rédigent le Programme catholique, publié le 20 avril 1871 dans le Journal des Trois-Rivières. Il exige des candidats qu’ils s’engagent à modifier les lois en fonction des demandes des évêques afin de les rendre conformes à la doctrine catholique. Pour la plupart des ultramontains, dont Trudel lui-même, le Programme conduit à appuyer le Parti conservateur (les bleus, contre le Parti libéral, les rouges), d’où la maxime « Le ciel est bleu, l’enfer est rouge », qui deviendra un slogan électoral jusqu’à l’Union nationale de Maurice Duplessis.

Trudel se présente lui-même aux élections de 1871 comme candidat conservateur dans le comté de Champlain. Véritable preuve du succès du Programme catholique dans la région, même son adversaire libéral, le notaire et futur maire de Trois-Rivières Télesphore-Eusèbe Normand, s’engage lui aussi à appuyer toutes les lois qui seraient proposées par l’épiscopat. [2] C’est malgré tout Trudel qui remporte l’élection avec une majorité de 66 voix. En 1873, le beau-père de Trudel, le commerçant Louis Renaud, lui cède son siège au Sénat. Il est à l’époque permis de siéger aux deux paliers de gouvernement et Trudel termine son mandat de député de Champlain tout en siégeant au Sénat canadien.

La réputation de Trudel se ternit en 1874, lorsqu’il se fait un des défenseurs du gouvernement dans le cadre de l’affaire des Tanneries. Alors que les députés conservateurs déclarent leur indépendance vis-à-vis de leur parti lorsqu’ils ne passent pas carrément aux libéraux, Trudel demande à ses collègues d’attendre la conclusion de l’enquête avant de poser un jugement. [3] Il met des bâtons dans les roues du comité d’enquête en se faisant le défenseur des intérêts privés. [4] Le journal L’Événement se moque de lui en le qualifiant d’« homme à croire tout ce que M. Ouimet affirme » [5], Gédéon Ouimet étant à la tête du gouvernement conservateur.

Un fossé se creuse entre Trudel et le Parti conservateur québécois lorsque celui-ci se donne pour chef Joseph-Adolphe Chapleau, souvent considéré comme le plus libéral des conservateurs. À la demande de Mgr Bourget et de Mgr Laflèche, Trudel se fait un des opposants les plus féroces à la construction à Montréal d’une annexe de l’Université Laval. Les évêques préféreraient une université indépendante au sein de laquelle ils pourraient s’assurer de la préséance de l’idéologie ultramontaine. Trudel ira jusqu’à plaider à Rome pour demander au pape d’intervenir, sans succès. Les refus répétés du premier ministre Chapleau de céder aux demandes des évêques conduit Trudel à s’éloigner de son parti et même à en devenir un adversaire.

La rupture entre Trudel et le Parti conservateur se consomme en 1886, au lendemain de la pendaison de Louis Riel le 16 novembre 1885. Trudel n’accepte pas que son parti n’ait pas réclamé sa grâce. Comme une grande partie de l’opinion canadienne-française, Trudel croit que Riel a été condamné parce qu’il est catholique et francophone. C’est la raison pour laquelle il appuie le Parti national d’Honoré Mercier contre le Parti conservateur aux élections québécoises de 1886. Trudel consacre ses dernières années à diriger le journal L’Étendard, un organe ultramontain qui critique les gouvernements conservateurs avec encore plus d’aplomb que la plupart des journaux libéraux.

François-Xavier-Anselme Trudel meurt en 1890 et le courant ultramontain ne lui survit pas longtemps. On considère généralement que l’ultramontanisme devient marginal au Québec après la mort de Mgr Laflèche en 1898. Une petite rue a été baptisée en l’honneur de Trudel à Québec, mais elle a depuis changé de nom pour devenir la rue Oscar-Drouin. Bien qu’il ait marqué l’histoire politique de la Mauricie et du Québec, il est aujourd’hui un nom généralement oublié.

Références
[1] Nadia F. Eid, « TRUDEL, FRANÇOIS-XAVIER-ANSELME (baptisé François-Anselme) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 févr. 2025https://www.biographi.ca/fr/bio/trudel_francois_xavier_anselme_11F.html.
[2] « Nomination des candidats dans le comté de Champlain », Le Journal des Trois-Rivières, 15 juin 1871, p. 2.
[3] Débats de l’Assemblée législative, séance du 4 décembre 1874, p. 27-28.
[4]  Débats de l’Assemblée législative, séance du 21 janvier 1875, p. 151.
[5] Débats de l’Assemblée législative, séance du 17 décembre 1874, p. 97.

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