
Après la présentation du dernier budget provincial, un gros chiffre a circulé dans la sphère médiatique : un déficit « record » de 11 milliards de dollars pour l’année financière en cours. À première vue, ce chiffre a de quoi inquiéter, mais qu’en est-il au juste ? Ce déficit est-il un prélude à l’austérité budgétaire ? Quelle autre option serait envisageable ?
Un déficit record ?
Dans son budget de 2024-2025, le gouvernement prévoit des revenus de 150,3 milliards et des dépenses de 157,6 milliards, ce qui implique un déficit de 7,3 milliards. Mais d’où vient le montant de 11 milliards ? Il provient de deux postes budgétaires qui n’ont rien à voir avec les dépenses courantes du gouvernement. D’abord, une provision de 1,5 milliard en cas d’imprévus (une forme d’épargne), puis un versement de 2,2 milliards au Fonds des générations (un actif financier) [1], ce qui donne le chiffre de 11 milliards (7,3 + 2,2 + 1,5). Ces deux items ont donc une incidence non négligeable sur le solde budgétaire, car ils représentent à eux seuls la moitié du déficit courant.
L’évocation d’un « déficit record » s’avère aussi une fausse représentation de la situation, étant donné que l’importance d’un déficit est établie en fonction du PIB, l’équivalent du revenu national. Dans le cas présent, le déficit de 7,3 milliards représente 1,2 % du PIB. On est donc loin des déficits records de 3,3 % du PIB en 1994-1995 et de 4,7 % en 1980-1981.
Austérité en vue ?
Si ce bref examen permet de relativiser le mauvais état de santé des finances publiques, on peut quand même se demander quelles mesures seront prises par le gouvernement pour rééquilibrer le budget. La déclaration du ministre des Finances selon laquelle le gouvernement « a eu un niveau de dépenses élevé », dont il faudra réduire le rythme de croissance [2], laisse entendre un parti pris en faveur d’éventuelles restrictions budgétaires. Reste à savoir lesquelles.
Or, il a été démontré que les coupures de dépenses publiques dans un contexte de ralentissement économique ne font qu’enliser le gouvernement dans le cercle vicieux de l’austérité budgétaire. Étant donné que les services publics représentent plus du quart du PIB, toute baisse des dépenses publiques a pour effet de ralentir davantage l’économie, provoquant du même coup une baisse des rentrées fiscales et, par le fait même, une hausse du déficit budgétaire.
La détérioration des finances publiques dans le contexte actuel de quasi-stagnation de l’économie en est la preuve. Le PIB du Québec n’a crû que de 0,2 % en 2023, soit trois fois moins que prévu, et la croissance projetée en 2024 sera deux fois plus faible qu’anticipé, de sorte que les rentrées fiscales ont déjà été amputées de 1,2 milliard en 2023-2024, et le seront à hauteur de 5 milliards en 2024-2025.
Baisser encore les impôts ?
Le Premier ministre Legault a affirmé, au lendemain du budget, vouloir baisser encore les impôts parce que, a-t-il dit, « les impôts nuisent à l’économie » [3]. Or, de nombreuses études montrent que les baisses d’impôt n’ont aucun impact significatif sur la croissance économique [4], alors qu’elles peuvent creuser davantage les déficits budgétaires, comme cela a été le cas au cours de la dernière année. En effet, la baisse d’impôt récurrente de 1,9 milliard octroyée dans le budget de mars 2023 privera le gouvernement d’une rentrée fiscale équivalente, soit le quart du déficit de 7,3 milliards.
Depuis une trentaine d’années, les déficits budgétaires et la hausse de la dette publique sont imputables en grande partie à la baisse de moitié du taux d’imposition des entreprises et à la multiplication des échappatoires fiscales profitant aux plus riches. Dans une large mesure, les allégements fiscaux accordés aux grandes entreprises n’ont guère stimulé l’investissement productif, ni enrichi les travailleurs et travailleuses ; ils ont plutôt servi au rachat d’actions en Bourse dans le but de mousser leur prix, et au versement de dividendes aux actionnaires et dirigeant-es, qui sont les grand-es bénéficiaires des échappatoires fiscales.
Là se cache donc le véritable gouffre financier du gouvernement.