Le risque d’une récession plane sur l’économie mondiale, et par voie de conséquence sur le Canada et le Québec. À l’origine de ce risque, la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis en février dernier. Ce faisant, l’administration Trump a multiplié les tarifs douaniers à l’endroit de tous les partenaires commerciaux des États-Unis. Il n’en fallait pas plus pour que les pays touchés répliquent avec des contre-tarifs, de sorte que cette guerre commerciale a fait ressurgir le spectre d’une crise de stagflation. Qu’en est-il au juste ?
Lorsqu’on évoque la stagflation, on fait référence à une combinaison simultanée de fortes pressions inflationnistes et d’un ralentissement économique causant du chômage, alors que ces deux phénomènes se produisent généralement de manière séparée.
Il faut remonter à la crise du pétrole des années 1970 pour comprendre les causes et les conséquences de la stagflation. En 1973, les puissances pétrolières du Moyen-Orient ont décidé de diminuer leur production de pétrole pour appuyer l’Égypte qui tentait de récupérer des territoires occupés par Israël. Le but était de faire grimper le prix du pétrole, lequel a quadruplé en quelques mois seulement. Et puisque le pétrole pesait lourdement dans les coûts de production, des entreprises ont dû ralentir leur production et licencier une partie de leur personnel, tandis que d’autres ont décidé de répercuter la hausse des coûts sur les prix de vente à leurs client-es (entreprises et consommateurs et consommatrices). Cette séquence a donc eu pour effet de ralentir l’économie et de hausser le chômage, tout en provoquant une forte inflation.
L’impact de la guerre tarifaire
La guerre commerciale actuelle porte tous les germes d’une crise de stagflation. Alors qu’une partie des entreprises répercute le montant des tarifs douaniers sur les prix de vente, cela attise l’inflation. Quant aux entreprises qui assument une partie ou l’entièreté des tarifs douaniers comme faisant partie de leurs coûts de production, [1] tôt ou tard elles se résignent à moins exporter, et donc à produire moins, ce qui ralentit l’économie et augmente le chômage.
Récemment, le président de la Fed (la banque centrale américaine) évoquait la probabilité élevée d’une récession et d’une inflation à la hausse au cours des prochains mois. [2] Si l’on se fie à la première guerre tarifaire de Trump en 2018, on constate que les tarifs n’ont en rien favorisé les échanges commerciaux des États-Unis avec la Chine. Au contraire, ils ont entraîné une baisse des ventes des entreprises américaines de 100 milliards de dollars et un surcoût de 120 milliards de dollars pour les consommateurs et consommatrices américain-es. [3] C’est pourquoi, comme l’indiquent plusieurs sondages aux États-Unis, la confiance des consommateurs et consommatrices est actuellement en forte baisse, alors que les investissements des entreprises sont déjà au point mort, signe de l’entrée prochaine d’une économie en récession.
Du côté canadien, la guerre tarifaire fera très mal puisque la majeure partie de nos exportations sont dirigées vers les États-Unis. Le Québec n’est pas en reste puisque les produits touchés par les tarifs américains (aluminium, aéronautique, papier, etc.) comptent pour le quart de son PIB. À l’échelle canadienne, le taux d’inflation pourrait augmenter de 32 % entre les quatrièmes trimestres de 2024 et de 2025. [4] Il n’est donc pas étonnant que l’indice de confiance des consommateurs et consommatrices soit à son plus bas niveau depuis les crises mondiales de 2008 et 2020. [5]

Photo : Dominic Bérubé / © La Gazette de la Mauricie et des environs
Le dilemme des banques centrales
Si la stagflation frappe plus durement la population qu’une crise classique, elle est aussi plus difficile à combattre qu’une récession ou une poussée inflationniste qui se produisent séparément. Lorsque l’économie ralentit, la Banque centrale du Canada abaisse son taux d’intérêt directeur afin de stimuler les dépenses de consommation. Et lorsqu’elle prévoit une hausse de l’inflation au-dessus de sa cible de 2 %, elle augmente son taux d’intérêt pour ralentir la demande. Or, les banques centrales seront confrontées au cours des prochains mois à une économie qui ralentit et à une inflation en hausse.
Lors des crises de stagflation des années 1970 et 1980, les banques centrales ont toujours privilégié la lutte contre l’inflation, de sorte que les taux d’intérêt élevés aggravaient la récession. Cette orientation pourrait se reproduire, comme le laisse entendre le directeur de la Banque des règlements internationaux, [6] pour qui « le risque est grand de voir l’inflation s’installer dans les esprits, [de sorte que] les taux d’intérêt pourraient devoir rester élevés plus longtemps que ne le prévoient les ménages et les marchés financiers ». [7]
À sa réunion du 16 avril dernier, la Banque du Canada a décidé de faire une pause sur la baisse de son taux d’intérêt entamée en juin 2024, le temps d’évaluer la durée, l’ampleur et l’effet de la guerre tarifaire sur la croissance économique et les prix. À 2,75 %, l’actuel taux de la Banque du Canada se situe au milieu de son taux neutre (entre 2,25 % et 3,25 %), c’est-à-dire un taux qui ne stimule ni ne ralentit la croissance économique.
La Banque du Canada a encore une marge de manœuvre pour stimuler l’économie, mais à condition que les signes de récession deviennent plus élevés que les pressions inflationnistes. Cependant, pareille détente monétaire pourrait être de courte durée, compte tenu de l’ampleur mondiale de la guerre commerciale et de l’imprévisibilité qui domine au sud de la frontière.