Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 9,8 % de la population mondiale ne mange pas à sa faim aujourd’hui, soit 20 % de plus qu’en 2019 (voir la figure 1). Alors que le nombre de personnes sous-alimentées avait diminué de 187 millions entre 2005 et 2019, ce nombre est fortement reparti à la hausse depuis 2020 ; il atteignait 828 millions en 2021 et pourrait atteindre 875 millions cette année, soit 257 millions de plus qu’avant la pandémie. Le monde est donc aux prises avec une grave crise alimentaire.
Figure 1 : Évolution du nombre de personnes sous-alimentées dans le monde
Des causes multiples
Ce n’est pas par manque de nourriture que le monde traverse la crise alimentaire actuelle, car la production alimentaire mondiale ne cesse de croître, à hauteur de 36 % depuis 2005. La crise actuelle repose sur des problèmes d’approvisionnement alimentaire et sur une forte inflation de la nourriture.
Parmi les causes de ces deux phénomènes, il y a d’abord la crise climatique, qui se manifeste avec de plus en plus de sécheresses, d’inondations, et d’incendies de forêt qui ont pour effet de réduire les rendements agricoles et hausser les prix alimentaires, rendant la nourriture moins abordable. Il y a aussi la multiplication des conflits régionaux dans des pays très dépendants de l’agriculture locale, que les populations locales doivent fuir, privant ainsi 135 millions de personnes d’un accès à la nourriture. Enfin, la pandémie a compliqué l’accès à la nourriture en perturbant l’approvisionnement, ce qui a fait monter les prix alimentaires, ajoutant 121 millions de personnes à un niveau critique de malnutrition.
La spéculation sur les prix
Si la guerre en Ukraine a exacerbé la crise alimentaire mondiale, ce conflit n’en est pas la cause. Comme le montre la figure 2, les prix des produits alimentaires se sont envolés à partir de 2021, pour ensuite exploser en 2022.
Figure 2 : Évolution des prix des produits alimentaires
La cause profonde de l’explosion des prix alimentaires se trouve du côté de la spéculation sur les prix alimentaires. Compte tenu des perturbations du commerce des aliments depuis la pandémie, des milliards de dollars ont été injectés dans des fonds de placement qui spéculent sur la hausse des prix alimentaires. Ces spéculateurs ont donc acheté massivement des denrées via des contrats à terme sur les marchés financiers, provoquant des hausses de prix qui ont attisé encore plus les achats spéculatifs, créant ainsi une véritable bulle spéculative des aliments.
Considérant que la Russie et l’Ukraine sont responsables du quart des exportations mondiales de blé, d’orge et de maïs, les montants injectés par les spéculateurs ont été multipliés par six dans les semaines qui ont suivi le déclenchement de la guerre. C’est pourquoi les prix mondiaux des aliments ont augmenté de 25 % en quelques semaines, ce qui a rendu la nourriture hors de portée pour des dizaines de millions de personnes dans le monde, y compris dans les pays riches.
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Derrière cette spéculation effrénée se trouvent quatre grands négociants alimentaires mondiaux (Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus), qui contrôlent 80 % des ventes mondiales de céréales. Selon OXFAM, la richesse de ces géants a augmenté de 45 % au cours des deux dernières années, soit un montant de 305 milliards de dollars.
Avec cette concentration extrême de pouvoir et de richesses entre les mains d’un petit nombre d’acteurs, on comprend donc pourquoi le monde est aux prises avec autant d’inégalités et de famine sur Terre.