Depuis l’avènement du capitalisme, la durée du temps de travail fait débat dans la société. Si au XIXe siècle, les journées de travail étaient longues, de 12 à 15 heures par jour, six jours sur sept, il a fallu de nombreuses luttes sociales pour en arriver à la semaine de quarante heures sur cinq jours au XXe siècle. Encore aujourd’hui, l’idée de travailler moins d’heures par semaine et d’avoir plus de jours de vacances est toujours d’actualité. Certains s’y opposent, craignant que cela nuise à la productivité. D’autres y voient au contraire un moyen d’améliorer l’efficacité économique. Essayons d’y voir clair.
Une comparaison internationale
Quand on calcule la productivité moyenne d’un pays en divisant le produit intérieur brut (PIB), soit la valeur de la production annuelle d’un pays, par le nombre d’heures travaillées, on constate qu’un nombre plus élevé d’heures de travail n’est pas un gage de productivité supérieure. C’est ce que montre le tableau ci-contre, qui compare dix pays où le niveau de vie est similaire.
En effet, les pays où l’on travaille plus d’heures se situent en bas du classement de la productivité. C’est le cas des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et du Japon, où le nombre d’heures travaillées est le plus élevé, alors que leur productivité est la plus faible. À l’inverse, les pays qui affichent un temps de travail inférieur à la moyenne de l’OCDE* (37 heures), enregistrent une productivité supérieure à la moyenne de l’organisation (83,98$). Il existe donc une corrélation négative entre le nombre d’heures de travail et la productivité d’un pays (1).
Pourquoi est-on moins productif au-delà d’un certain nombre d’heures de travail ?
Des chercheurs japonais ont montré que de longues heures de travail dans des tâches manuelles augmentent les défauts de fabrication et de conception, ce qui affecte négativement la productivité (2). Ils estiment donc qu’une réduction du temps de travail permet aux employés d’accroître leur énergie et leur concentration et par le fait même leur productivité (3). Ces constats sont corroborés par une étude américaine qui montre que la réduction du nombre d’heures de travail, de 8 à 7 par jour, ou de 40 à 35 par semaine, favorise une meilleure productivité. Enfin, dans des tâches qui requièrent des capacités cognitives, les recherches estiment que le point de rupture est atteint au-delà de six heures de travail.
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Plus de vacances nécessaires
En plus d’un nombre élevé d’heures travaillées, des vacances insuffisantes nuisent aussi à la productivité. Selon une étude menée auprès de responsables américains en ressources humaines, 78 % d’entre eux estiment que les employés qui prennent plus de vacances sont plus concentrés au travail et plus productifs. On estime qu’un employé qui prend dix heures de vacances supplémentaires peut améliorer sa productivité de 8 % (4). Enfin, la durée des vacances constitue un facteur de rétention du personnel, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte actuel de déficit et de roulement élevé de la main-d’œuvre.
Quand on compare les jours de vacances obligatoires dans le monde, le Canada, le Japon et les États-Unis font encore piètre figure. Alors que les pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède), et bon nombre de pays européens obligent 28 jours ou plus de vacances payées, le Canada et le Japon n’en garantissent que 10 et les États-Unis sont le seul pays qui n’impose pas de congés payés. Seul le Québec se démarque en Amérique du Nord avec 21 jours de vacances après trois années de service dans la même entreprise.
Si les vacances et leur durée consécutive améliorent la productivité, c’est parce qu’elles sont bénéfiques pour la santé physique et mentale des personnes, et donc le bien-être humain. Là encore, les pays européens se démarquent avec des taux de dépression et des dépenses de santé beaucoup plus faibles qu’en Amérique du Nord. À preuve, l’Indice du « Vivre mieux » de l’OCDE, qui mesure la qualité de vie, montre que les pays qui accordent plus de vacances et de temps en conciliation travail-famille arrivent en tête de cet indice de qualité de vie.
Force est donc de constater qu’une quantité moindre de travail dans une journée, une semaine et une année ont un impact positif sur la qualité de vie et la motivation des gens, et par le fait même sur l’efficacité économique.
Sources
(1) Productivité et prospérité au Québec. Bilan 2020, Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter, HEC Montréal, Décembre 2020.
(2) Teams become more productive when their hours are shorter, Research Institute of Economy, Trade and Industry (RIETI) of Japan, September 18, 2021.
(3) Working hours. Proof that you should get a life, The Economist, December 9, 2014.
(4) Tony Schwartz, Relaxe you’ll be more productive, New York Times, February 9, 2013.