Photo : Dominic Bérubé
Des faits permettent d’établir une relation étroite entre les inégalités économiques et les inégalités climatiques. En effet, on observe un déséquilibre entre les mieux nantis qui sont le plus responsable du réchauffement climatique, et les plus démunis qui le sont moins, mais qui en subissent plus sévèrement les effets sur leurs conditions de vie. Que faire alors pour combattre ces deux formes de disparité ?
Des disparités extrêmes
Les inégalités économiques, qui concernent les disparités de revenus (salaires et profits) et de richesse (immobilière et financière), atteignent des niveaux très élevées dans presque tous les pays. Selon le Laboratoire mondial sur les inégalités [1], les 10 % les plus riches de la planète captent aujourd’hui 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’en reçoit que 8,5 %. Les écarts sont encore plus grands du côté de la richesse, où les 10 % au sommet en détiennent 76 %, alors que les 50 % les plus pauvres n’en possèdent que 2 %.
Au Canada, bien que ces écarts soient moindres qu’à l’échelle mondiale, ils n’en demeurent pas moins élevés. Les 10 % les mieux nantis reçoivent 41 % des revenus et détiennent 58 % des richesses, tandis que les 50 % au bas de l’échelle captent 16 % des revenus et 6 % de la richesse. Autre fait marquant, la part des revenus captés par la classe moyenne (les 40 % du milieu) au Canada et au Québec baisse depuis 1980, même en tenant compte des impôts et des transferts sociaux. [2]
Les inégalités climatiques
Lorsqu’on examine les émissions de CO₂ (dioxyde de carbone) par groupe socio-économique, force est de constater que les inégalités climatiques rejoignent les inégalités économiques. Les 10 % les plus riches de la planète sont responsables de la moitié des émissions de CO₂, alors que la part des 50 % les moins nantis n’est que de 12 %. [3]
Comme le montre le tableau ci-contre, les écarts sont aussi très grands au Canada, car les 1 % et les 10 % les plus riches émettent respectivement 190,2 et 60,3 tonnes de CO₂ par habitant, contre seulement 20,9 tonnes pour les 40 % du milieu, et 10 tonnes pour les 50 % les plus démunis. Et ces écarts ne cessent de se creuser, puisque les émissions de CO₂ des plus riches ont augmenté de 4 tonnes par habitant depuis 1990, alors qu’elles ont diminué de 3,5 tonnes chez les plus démunis et de 4,5 tonnes dans la classe moyenne.
Selon l’ONU, les plus démunis sont aussi les plus grandes victimes de la crise climatique. [4] Les événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur excessive, inondations, sécheresses, etc.), dont la fréquence et l’intensité ne cessent d’augmenter, affectent davantage leur santé physique et mentale, en raison du plus grand stress causé par le manque de ressources financières pour y faire face, ainsi que des conditions de vie plus précaires, dont la piètre qualité de leurs logements.
Deux causes communes
Puisque les moins nantis captent une très faible part des revenus et de la richesse, leur consommation est donc plus faible, et par le fait même leurs émissions de CO₂. À l’opposé, la concentration extrême des revenus et de la richesse au sommet de l’échelle ne fait qu’alimenter la surconsommation des mieux nantis, et par le fait même leur surémission de CO₂.
Compte tenu de cette double inégalité, on ne peut demander aux 50 % les plus démunis de réduire davantage leurs émissions de CO₂, alors qu’ils émettent déjà deux tonnes de moins que la cible canadienne de 12 tonnes prévue en 2030. Mais pour atteindre cette cible, les 10 % les plus riches devront réduire considérablement leurs émissions de CO₂. En conséquence, il apparaît impossible de s’attaquer et de s’adapter équitablement et efficacement au réchauffement climatique sans réduire les inégalités économiques. Toute stratégie en ce sens doit nécessairement être associées à un transfert de revenus et de richesse des plus aisés vers les moins nantis.
Car des sommes colossales doivent être déployées pour la construction et la rénovation de logements mieux adaptés au réchauffement et plus efficace sur le plan énergétique. Il en va de même du côté des transports collectifs, où des milliards de dollars doivent être investis pour le développement de réseaux efficaces et accessibles. En ce qui concerne l’auto, l’aide publique à l’achat d’un véhicule électrique devrait viser les habitants des régions où la voiture est souvent le seul moyen de transport possible, ainsi que les acheteurs de voitures à revenu faible et modeste afin d’éviter que les subventions ne soient captées que par les mieux nantis.
Pour que l’État dispose des ressources nécessaires à ces formes de transferts, il doit s’attaquer aux multiples échappatoires fiscales qui le privent de 50 milliards de dollars chaque année. Pour contourner l’évasion fiscale, comme les transferts de profit dans les paradis fiscaux, la solution avancée consiste à instaurer un impôt minimum de 15 % sur le chiffre d’affaires des plus grandes entreprises. Enfin, d’autres solutions existent comme la mise en place d’un impôt sur la fortune et sur les successions, et l’ajout d’un palier d’imposition sur la plus haute tranche de revenu imposable.
Sources