Cette lettre écrite par Adis Simidzija lui a valu le premier prix dans le cadre du concours littéraire Lise Durand pour les allophones de Trois-Rivières. Le thème de la première édition de ce concours organisé par le Service d’accueil des nouveaux arrivants Trois-Rivières était la résilience.
Par Adis Simidzija
Maman, ils disent que je suis résilient, mais ce qu’ils ne savent pas c’est que ma résilience n’est que le reflet de la tienne. Lorsque la résilience se regarde dans le miroir, elle voit cette mère seule accrochée à l’espoir comme un chrysanthème qui refuse de se laisser mourir aux changements des saisons. On t’a arraché ton mari comme l’hiver arrache l’éclat enchanteur du feuillage d’automne. Sauf que, toi, tu as su garder ta couleur joyeuse de jeune fille pleine de rêves. On t’a arraché tes souvenirs, comme une jeune fille arrache les pétales d’une fleur, une à une, dans l’espoir qu’elle lui révèle un amour souhaité. À la brutalité de la guerre, tu as répondu par la tendresse d’un printemps balkanique. Tu as usé d’amour contre les armes. Tu as privilégié les caresses contre les mitrailleuses. Tu as appris à chanter au gré des sourds crépitements accompagnant les obus.
Maman, ils disent que je suis résilient, mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que c’est toi qui porte les cicatrices de mes incertitudes, de mon cheminement, de toutes les maladresses qui m’ont fait trébucher. C’est ton cœur de mère qui m’a tendu la main lorsque thanatos était trop insistant. Ce sont tes pleurs de joie qui ont arrosé l’espoir en moi. Mes traumatismes de guerre sont adoucis par ta mélodie rieuse qui raisonnait dans Mostar. Tu es le remède à l’effroyable expérience de vie imposée à l’enfant arraché à sa mère patrie, déraciné de la terre parsemée d’arbres sucrés.
Maman, ils disent que je suis résilient, mais ils oublient que derrière mes yeux qui pétillent d’ambition, il y a les larmes d’une mère qui a traversé l’océan pour que ses fils puissent fleurir. Des larmes qui inondent parfois mes nuits dans l’espoir de soulager les tiennes. Tu as su trouver le voilier pour nous guider vers des horizons regorgeant de vie. Tu as su nous montrer que cette vie n’était pas propre aux êtres humains. Tu as su nous convaincre que les arbres chantaient parfois une poésie insoupçonnée. Qu’ils étaient à la fois complices et spectateurs de nos jeux d’enfants. Qu’ils ont gravé dans leurs écorces les souvenirs de pères disparus. Que tous les pères reposant dans leurs tombes nourrissaient les rosiers qui surplombent leur lit éternel. Que la nature n’était pas qu’humaine. Qu’il suffisait de porter son regard sur la sensualité qui se dégageait de l’intime complicité du vent méditerranéen et de la mer Adriatique pour comprendre la beauté du monde.
Maman, ils disent que je suis résilient, mais ils oublient que derrière chaque enfant il y a une mère qui l’a porté dans ses tripes. Ils oublient que sans la terre mère, il n’y aurait pas d’arbres, pas de fleurs, pas d’océans. Ils oublient qu’il n’y aurait pas toutes ces filles et tous ces fils qui s’accrochent, qui écrivent de la poésie en hommage à leurs mères.
Maman, ils disent que je suis résilient. J’userai de cette résilience que tu m’as transmise pour entrer un jour à l’Académie française dans le seul but de faire de ton nom un synonyme de mère fière.