Louis-Serge Gill, décembre 2018 Pour nous sortir de la grisaille du mois de novembre, le magnifique ouvrage Nos héroïnes paraît aux éditions Marchand de feuilles. Issu de la collaboration entre Anaïs Barbeau-Lavalette et Mathilde Cinq-Mars, cet album jeunesse vise à redonner aux femmes leur place dans l’histoire québécoise. À l’occasion de cette publication, La Gazette de la Mauricie s’est entretenue avec Mathilde Cinq-Mars à propos du livre, mais aussi de son parcours d’illustratrice. Un enchaînement de situations fortuites conduit Mathilde Cinq-Mars vers la professionnalisation de sa passion pour le dessin. Un intérêt manifeste pour les arts visuels l’a d’abord menée à l’Université de Strasbourg, puis en 2012 à l’Université Laval. À ce moment, sur fond de grève étudiante, la jeune femme décide de changer de mode de vie. C’est ainsi qu’elle quitte Québec pour le Bas-Saint-Laurent afin d’y apprendre les rudiments de l’autosuffisance.
Profession : illustratrice
Vivant alors avec très peu de possessions, Mathilde fait du dessin son perpétuel compagnon. Traits journaliers, esquisses de la vie quotidienne : elle dessine ses jours, à la manière dont d’autres personnes tiennent un journal intime. C’est en souscrivant à un programme d’aide à l’emploi qu’elle se déclare officiellement, pour la première fois, illustratrice. Peu à peu, le passe-temps devient passion et la passion devient travail. Elle en ressent la nécessité, d’autant plus qu’un second événement essentiel transforme son existence : la maternité.
Illustratrice en apprentissage, mère monoparentale, Mathilde assume totalement ses choix et elle n’hésite pas à foncer : « Bien sûr, il y a une précarité liée au métier d’illustratrice, mais c’est une activité qui permet, avec le temps, une stabilité. On devient plus autonome et on prévoit quels seront les problèmes. Par exemple, il faut savoir quand mettre fin aux corrections, quand nous serons payés », souligne-t-elle. Chaque contrat mène à la création d’un monde en soi. Parfois, avoir carte blanche peut déstabiliser, nous explique-t-elle, mais de manière générale, ce sont des projets enrichissants sur les plans culturels et intellectuels. « En faisant de la recherche pour un projet, on apprend beaucoup », précise l’illustratrice.
Une question de valeurs
Forte de son expérience et de sa notoriété grandissante, Mathilde n’a que très peu de concessions à faire pour vivre de son art. Un point sur lequel elle ne déroge plus : la représentation de la diversité. En participant à Nos héroïnes et en illustrant la campagne de cartes de Noël du Collectif pour un Québec sans pauvreté, se perçoit-elle pour autant comme une artiste engagée ? « En général, collaborer à un projet qui met de l’avant des valeurs qui me sont chères – comme la pensée féministe et inclusive – est un plus. » Par conséquent, elle a accepté comme un grand honneur l’invitation lancée par Mélanie Vincelette, directrice de Marchand de feuilles, et Anaïs Barbeau-Lavalette : « Quand des mois de travail nous attendent, aussi bien aimer le sujet abordé. » Cette association naturelle a notamment permis une belle liberté de création. Grâce à un dossier historique préparé par Annette Gonthier, Mathilde a appris à connaître les 40 femmes présentées dans l’album. Alors qu’Anaïs avait le mandat de faire parler les personnages par de courts textes, l’illustratrice s’est intéressée à leur physionomie et à leur environnement par l’entremise de portraits divers et de photos d’archives (quand cela était possible). Tout est fait à la main, puis numérisé à la fin du processus. Son travail d’illustratrice, au croisement d’une passion pour le dessin et de valeurs humaines clairement affirmées, redonne ainsi un visage à des femmes que toute une génération saura, nous le souhaitons, apprendre à (re)connaître.
En guise de complément
Campagne de cartes de Noël du Collectif pour un Québec sans pauvreté : http://www.pauvrete.qc.ca/cartes-noel-2018/ « Mathilde Cinq-Mars : à fleur de peau », reportage de la Fabrique culturelle (Télé-Québec), 2017, 3 min. 46. : https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/9685/mathilde-cinq-mars-a-fleur-de-peau
Nos héroïnes
La genèse de l’ouvrage débute le 24 juin 2018, quand Barbeau-Lavalette évoque les femmes oubliées de l’histoire québécoise dans un discours prononcé sur les Plaines d’Abraham. De fil en aiguille, le projet de donner voix à ces femmes s’est concrétisé chez l’éditeur Marchand de feuilles, et le résultat est épatant à bien des égards. Anaïs Barbeau-Lavalette et Mathilde Cinq-Mars ont trouvé dans les dossiers historiques préparés par Annette Gonthier la matière nécessaire pour redonner vie à ces 40 femmes, certaines mieux connues (Jeanne Mance, Irma Levasseur – grâce aux romans de Pauline Gill, La Bolduc) et d’autres dont la trace aura été quelque peu effacée au fil du temps, notamment Marie Morin, Emma Lajeunesse, Éva Circé-Côté, Marie Lacoste Gérin-Lajoie, Mary Two-Axe Early et Judith Jasmin. Nous pouvons par ailleurs apprécier la diversité sociale des héroïnes, qui ont été tisserande, femmes de lettres, religieuses, artistes, etc. Peut-être est-ce en raison du rôle social qu’on leur a trop souvent imposé que Barbeau-Lavalette raconte l’histoire de la plupart des héroïnes dans la simplicité de leurs gestes quotidiens. D’ailleurs, le dessin réaliste privilégié par Mathilde Cinq-Mars soutient adéquatement cet aspect des textes biographiques en replaçant toujours ces femmes dans leurs actions les mieux connues ou dans un décor très approprié. Par exemple, nous pensons à Elsie Reford, à l’origine des Jardins de Métis, qui est présentée dans un décor floral emblématique de son œuvre horticole mais aussi de l’art de Cinq-Mars. Si cet ouvrage n’est pas une histoire exhaustive de femmes importantes du Québec, il atteint assurément sa cible en suscitant la découverte de parcours mémorables et parfois atypiques auprès des lectrices et lecteurs, des plus jeunes aux plus âgés. Anaïs Barbeau-Lavalette, Mathilde Cinq-Mars, Nos héroïnes, Montréal, Marchand de feuilles, 2018, 96 p.