Alex Dorval – Société – Février 2021
Première vague : le canot entre dans un drôle de tango. À droite une fois, à gauche, puis à droite avec un peu plus d’élan. On n’a même pas entendu un « crac! », seulement un « oh! » que nous lâchons à l’unisson. Puis justement « l’eau » embarque. Puis la panique s’empare de la barque et du duo de rameurs d’occasion que nous sommes.
« Ce moment représente un point de basculement dans le cours de la pandémie – où la science, la politique, la technologie et les ONG doivent former un front uni, afin de repousser ce virus persistant et insaisissable », confiait le directeur régional OMS de l’Europe, Dr. Hans Kluge, lors d’un point de presse le 7 janvier dernier.
« @&#$! que j’aurais dû mettre ma flotte », résume la pensée qui me traverse l’esprit… mais la rivière St-Maurice avait l’air si tranquille en cet été 2020 où le plein air nous offrait un certain répit de confinement.
Rien ne va plus
L’équinoxe se pointe le bout du nez, mais l’été étire sa fin. On le sait à quoi c’est dû, mais cette année, on ne va pas trop en parler. « On va en profiter ! » Sans égard pour ce redoux, la deuxième vague se fait déjà sentir et on craint le pire. Le Journal de Montréal titre : « Les débordements dans les urgences font peur.»
Ça ne va pas en s’améliorant. À l’approche des fêtes, on apprend que « des mutations précédentes du SARS-CoV-2 ont déjà été observées et signalées dans le monde. ». Des mutants de la Covid-19 ? Sérieux ? Rien ne va plus ! Au moment où on pensait en avoir 6 pieds par-dessus la tête, les experts nous préviennent : « le pire est à venir. »
Plus le cœur à la fête
Tout a chaviré avec nous : nos flottes, les rames, le kit de survie mal attaché, le cooler dans le fond du canot, mon Iphone qui était dans le cooler (oui je sais : c’était cave d’emporter mon téléphone sur l’eau). Malgré que le rivage soit proche, mes pantalons se gorgent d’eau et je parviens de peine et de misère à atteindre le bord. Depuis l’autre rive, sur la populaire « plage à chiens » du côté du Cap, nous parvient du gros beat et des rires insouciants. Trop occupés à faire la fête, personne ne s’est rendu compte qu’on a chaviré.
Quand l’eau prend le bateau – à moins d’avoir la tête dans le sable – on a moins le cœur à la fête.
Quelques jours plus tard, on « cancelle » Noël.
Crier au feu
Puis en janvier, on annonce le couvre-feu. On ne s’entend plus sur quels feux éteindre. En essayant d’en couvrir un, on en allume probablement d’autres. Des voix s’élèvent et crient au liberticide. Ces voix, soient-elles raisonnées, ne résonnent pas auprès des autorités. Trop de groupes ont crié au feu… On ne distingue plus les sages des fous. Tout devient flou.
Le climat social atteint aussi son point de basculement.
« J’ai fait mes recherches »
On retrouve nos affaires flottantes, une à une : le cooler, mon Iphone (en vie !), nos flottes, le kit de survie, … « FUCK ! », il manque une rame… Bah, à part ça une petite scratch sur la toile (pis une autre sur l’orgueil), on s’en sort « pas trop pire ».
En arrivant à la maison, sur le divan, « j’ai fait mes recherches » ! Je suis allé sur YouTube consulter des tutoriels pour apprendre « quoi faire quand on chavire ». Ça fait au moins 20 ans que je fais du canot sans savoir quoi faire si ça m’arrive. Je me passe la réflexion : la prévention est une vertu qu’on prêche uniquement une fois qu’il est trop tard.
J’ai fait mes recherches, oui, mais ai-je appris ma leçon ?
Je nous justifie encore… on était jeunes, en forme (relative), on se tenait sur le bord, loin des remous, loin de l’épicentre…
Puis merde ! Je me rends à l’évidence. La flotte c’est la prévention. Le couvre-feu, c’est une bouée de sauvetage. Lancée dans le désespoir, un peu tout croche, et il y a lieu de se demander si cette bouée, dans sa trajectoire, en assommera et fera couler plus qu’elle n’en ramènera à bon port.
On était vraiment insouciants depuis 20 ans. Une chance qu’il n’y a pas eu de morts.
Ça aurait été con.