Mistral Spatial (2023)
102 minutes, Québec
Science-fiction
Réalisation : Marc-Antoine Lemire
Interprètes : Samuel Brassard, Catherine-Audrey Lachapelle, Alex Trahan
Après cinq ans de travail, Marc-Antoine Lemire signe son tout premier long-métrage, réalisé avec un budget de court-métrage et une équipe réduite. Il en résulte un film absolument hors-norme, décalé et hypnotisant.
Lorsque Sam se fait laisser par sa copine, il erre dans Montréal, troublé. Il se réveille plusieurs heures plus tard, couché en plein milieu de la rue, avec une mystérieuse mélodie en tête. Lui qui travaille comme bruiteur et qui est passionné par les sons s’aventure à reproduire cette mélodie étrange sur un thérémine, instrument électronique qui se joue sans contact, seulement avec le mouvement des mains. Épuisé par plusieurs nuits d’insomnie, Sam est amené à penser que son épisode de perte de conscience pourrait avoir été causé par… un enlèvement extraterrestre.
Divisé en trois actes très distincts, à la fois par le style et par le ton, Mistral spatial conserve toutes les forces d’un court-métrage expérimental : la liberté dans la production, l’innovation technique, le côté intimiste. On connaît d’ailleurs le réalisateur Marc-Antoine Lemire pour son excellent court-métrage de 2017, Pré-Drink – dont les têtes d’affiche Alex Trahan (originaire de Yamachiche) et Pascale Drevillon se retrouvent également dans son récent film.
Les personnes cinéphiles qui plongeront dans ce long-métrage en s’attendant à un récit limpide et logique seront assurément décontenancées, puisque, selon les dires du réalisateur lui-même dans un entretien donné au Devoir, le défi de ce projet était de « filmer ce qui ne se filme pas ». Les sons s’avèrent omniprésents, les images oniriques, les émotions du personnage, à vif. On joue avec le ratio, les couleurs et on manipule l’image avec des effets visuels. (On y rencontre même, dans un moment absurde, Marie Brassard en costume de pieuvre. Il faut le voir pour le croire.)
Il est à noter que les films de science-fiction se font rares au Québec, particulièrement dans ce style expérimental. Or, avec le succès monstre de Viking de Lafleur en 2022, peut-être assisterons-nous à une résurgence du genre avec des explorations riches comme celles que nous propose Marc-Antoine Lemire.
Jerrod Carmichael : Rothaniel (2021)
55 minutes, États-Unis
Monologue comique
Réalisation : Bo Burnham
Interprète : Jerrod Carmichael
Depuis plusieurs années, on voit dans le paysage cinématographique une disparition progressive des frontières entre ce qui pourrait être catégorisé comme un film et les séries télé, les films-concerts ou même les performances de monologuistes comiques.
Lorsque l’humoriste multidisciplinaire Bo Burnham a réalisé la production spéciale Inside pendant la pandémie, cet ovni Netflixien de 87 minutes alliant humour, musique, documentaire et fiction a semblé immerger le monde du monologue comique dans celui du cinéma.
C’est d’ailleurs Burnham qui réalise Jerrod Carmichael : Rothaniel, qu’on pourrait difficilement qualifier d’humoristique. Dans la lignée d’émissions spéciales telles que Nanette d’Hannah Gadsby, Rothaniel utilise le format du monologue comique pour, paradoxalement, orchestrer une mise en scène qui permet d’accéder à une grande authenticité de la part de l’artiste.
À travers des interventions libres du public, l’humoriste, qui se confie sur sa famille, son orientation sexuelle et le racisme, est amené à adapter complètement son contenu en fonction de ces interactions. Des questions soulevées par l’assistance lancent Carmichael sur des chemins inattendus, vers une certaine guérison. On sent l’empathie des personnes dans l’ombre, comme autant de voix discordantes dans la tête de Carmichael, à fleur de peau. L’humoriste le dit bien au départ : « Si vous voulez que ceci fonctionne, on doit tous se sentir comme une famille. »
Grâce à la mise en scène, au montage et à une direction photo franchement inégalée pour une production spéciale d’humour, des moments très fragiles prennent place devant la caméra. Derrière notre écran, en tant que deuxième public (mise en abîme, s’il en est une), nous nous demandons quelles sont les limites de cette performance – ou s’il y en a tout court.
À visionner sur la plateforme Crave.