Jean-Claude Landry, novembre 2019
S’opposer à un projet ou un produit dont on craint l’impact sur l’environnement, sur les personnes ou sur la collectivité, c’est habituellement s’engager dans un combat aux forces très inégales. Les entreprises disposent d’une panoplie de moyens et recours pour que prédomine leur point de vue.
Le lobbying
Lors de la saga « Énergie Est » opposant la compagnie TransCanada, devenue depuis TC Energy, aux multiples regroupements citoyens inquiets du passage de ce pipeline, les citoyens ont dû multiplier les pressions pour disposer de l’information adéquate sur l’impact de ce projet. Odette Sarrazin, actuelle coordonnatrice pour les régions de Lanaudière et de la Mauricie du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec se souvient. «TransCanada organisait des salons d’information mais la compagnie a toujours refusé nos demandes de tenir des séances publiques d’information».
Activité légale et reconnue, le lobbying n’a quand même pas bonne presse dans l’opinion publique. C’est que l’activité se déroule habituellement derrière des portes closes. Une réalité vécue par les citoyens de Lanaudière où la compagnie avait entrepris de rencontrer privément les élus locaux. «Non seulement ces rencontres avaient-elles un caractère strictement privé mais, au surplus, TransCanada demandait aux élus qu’elles ne soient pas rendues publiques, poursuit Mme Sarrazin. Un souhait qui a incité les élus de notre MRC à refuser ces rencontres jugées trop discrètes pour un projet concernant l’ensemble de la communauté.»
Le recours aux scientifiques
Que ce soit pour semer le doute face à l’évidence ou encore redorer leur image, les promoteurs de projets ou de produits controversés font parfois appel aux scientifiques. On financera des centres de recherche, on commanditera des événements scientifiques. On produira même des études scientifiques «bidons». Les pétrolières l’ont fait durant des décennies pour contester le réchauffement climatique. Tout récemment la multinationale Bayer, anciennement Monsanto, se retrouvait dans la tourmente concernant une fausse étude amenuisant le caractère cancérigène d’un de ses produits phares, le Round Up. L’étude en question avait été produite par les employés de la compagnie mais sous le nom de scientifiques reconnus ayant accepté de se prêter à ce subterfuge contre une rémunération.
Une situation qui n’étonne pas Marc Brullemans, biophysicien et membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec. «Dans les universités, la tendance est actuellement au modèle de la Chaire de recherche au détriment de celui de la recherche fondamentale. Il s’agit souvent d’une recherche orientée, répondant aux besoins d’une industrie, mais qui n’existe qu’avec l’apport de deniers publics. Dans un tel contexte, le chercheur se trouve souvent en porte-à-faux, sans avoir la liberté académique, voire la liberté de réflexion, à laquelle on pourrait s’attendre», souligne-t-il.
Les poursuites abusives
Et si la stratégie de communication s’avère insuffisante, reste le recours à «l’artillerie lourde». Grenville-sur-la-Rouge, petite municipalité des Laurentides en sait quelque chose. La municipalité ainsi que des conseillers font l’objet d’une poursuite de 96 millions $ (16 fois les revenus annuels de la municipalité) intentée par une société minière, Canada Carbon, pour avoir modifié son règlement de zonage mettant ainsi un frein aux projets de carrière et de mine de l’entreprise. Un cas parmi d’autres qui illustre la vulnérabilité des petites municipalités aux prises avec des conglomérats aux poches très profondes.
Tout cela ressemble, diront certains, au combat de David contre Goliath. Ce peut être le cas mais les mobilisations citoyennes ont démontré que rien n’est joué tout à fait.