Alex Dorval – mai 2021
À 1,3 %, le taux d’inoccupation des logements à Trois-Rivières est largement sous le seuil critique de 3 %. Résultat, plusieurs ménages vivent dans un logement trop petit ou insalubre et d’autres pourraient à court terme se retrouver sans logement. Hautement préoccupés, les groupes de défense en droit du logement déplorent le fait que la ministre de l’Habitation et le gouvernement Legault refusent toujours d’admettre qu’il s’agit bel et bien d’une crise du logement. Nous avons donc cherché à rendre compte de l’état de la situation et des pistes de solution au niveau municipal.
État des lieux
« Je parle toutes les semaines à des familles avec 4 ou 5 enfants qui ne trouvent aucun logement et qui vont se retrouver dans la rue d’ici le premier juillet. Mon cri du cœur est pour ces groupes plus vulnérables qui sont déjà aux prises avec des problématiques exacerbées par la crise sanitaire », lance Carol-Ann Côté, coordonnatrice chez InfoLogis Mauricie. L’organisme a pour mission d’informer les Trifluviens et Trifluviennes locataires de leurs droits et de favoriser l’accès à un logement décent et abordable sur le territoire de Trois-Rivières.
Outre le bas taux d’inoccupation, d’autres données contribueraient selon Mme Côté à affirmer qu’il s’agit bel et bien d’une crise. D’une part, le prix des logements bondit, allant parfois jusqu’à monter de 200 $ après quelques rénovations mineures. D’autre part, certains propriétaires laissent leurs logements se détériorer, sachant que leurs locataires n’ont pas d’autres options sous la main et que le marché est actuellement du côté du vendeur, bon ou mauvais état.
Un bas taux d’inoccupation serait aussi une occasion en or pour un propriétaire souhaitant mettre de la pression pour augmenter son logement au-delà du taux prescrit par le Tribunal administratif du logement. Certains étant même prêts à bafouer du revers de la main les droits des locataires. Légales ou non, les stratégies sont multiples : faux avis d’éviction à ceux qui refuseraient une augmentation, éviction légale sous prétexte de faire des rénovations (rénovictions), éviction sous prétexte de réquisition pour héberger un proche du propriétaire, etc. Il semblerait que le malheur des uns fasse parfois le bonheur des autres.
Ce qu’on déplore c’est que la ministre nie qu’il y a une crise. Si on laisse ça aller, ça va empirer et la population sous le seuil de la pauvreté va écoper. On va se retrouver avec des gens à la rue et d’autres problèmes similaires à ceux qu’on observe dans certaines villes comme Vancouver.
Diminution des options de logements abordables, salubres et de taille convenable, augmentation de la discrimination basée sur des critères sociaux et identitaires de la part des propriétaires, l’état des lieux est préoccupant selon la coordonnatrice d’Info Logis qui constate une hausse de 30 % d’appels cette année. La plupart des appels ayant pour objet la simple recherche d’un logement.
Mme Côté insiste également sur l’importance de responsabiliser les propriétaires immobiliers, spécialement en contexte de crise sanitaire : « Il y a une bonne proportion des propriétaires qui sont consciencieux. On comprend que le but c’est de faire de l’argent, mais il faut un encadrement pour assurer que les propriétaires se conforment à des règles de base sur l’entretien de leurs logements. »
Notons que déjà en 2011, des économistes anticipaient qu’une crise du logement puisse accentuer la dégradation de la salubrité des logements au Québec et avoir des conséquences directes en santé publique :
« Pour éviter une détérioration rapide de la santé des aînés en situation de besoins impérieux de logement qui les acculeraient vers des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) coûteux et surpeuplés, il faut rendre accessible un nombre adéquat de logements sociaux offrant un bon milieu de vie. Il a été démontré que l’emménagement dans un logement social améliore non seulement la situation financière des ménages, mais aussi la probabilité d’impacts positifs sur la santé et le bien-être. » – Note d’intervention de L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), juillet 2011.
Une liste d’attente qui s’allonge
Du côté de l’Office municipal d’habitation de Trois-Rivières (OMHTR), on reconnaît que la situation est pire qu’à l’habitude depuis un peu plus d’un an. « Il y a de plus en plus de ménages qui doivent rester malgré eux dans des logements qui ne leur conviennent pas, qui sont hors de leur budget ou tout simplement en mauvais état », affirme Jimmy Ducasse, directeur par intérim à l’OMHTR.
La liste d’attente de requérants admissibles de l’OMHTR pour l’accès à un logement social est passée de 300 à 350 ménages à Trois-Rivières pour cette année. Face au manque de logement, ces ménages ou personnes vivant seules doivent soit accepter de demeurer dans un logement souvent trop petit et aux prises avec de l’insalubrité causée par un dégât d’eau, des bris de toutes sortes et un manque d’entretien minimal de la part de certains propriétaires. D’autres vont être hébergés de façon plus ou moins temporaire chez des proches ou amis. Ce genre d’accommodement se ferait toutefois de manière plus complexe dans le contexte de la crise sanitaire.
Chez InfoLogis Mauricie, on nous indique que certains ménages vont parfois attendre de 3 à 4 ans avant d’obtenir un logement répondant à leurs besoins de base. Mme Côté ne croit pas que les récentes annonces budgétaires du gouvernement québécois parviennent à répondre à la crise. Le manque à gagner serait énorme en comparaison du besoin estimé par l’organisme à 1345 logements d’ici 5 ans. Mme Côté aimerait voir la Ville de Trois-Rivières intervenir face à la crise : « Les villes peuvent jouer un très grand rôle si elles le veulent. Entre autres en s’assurant d’avoir un contrôle sur les loyers et en ajustant la réglementation sur les réaménagements des bâtiments. »
La Ville face à la crise
Bien qu’il ne soit pas d’avis qu’il s’agisse d’une crise, le premier ministre François Legault mentionnait que la situation est plus inquiétante à certains endroits, citant spécifiquement Trois-Rivières. Du côté de la Ville de Trois-Rivières, le maire Jean Lamarche semble plus enclin à reconnaître que la situation est critique :
« C’est un enjeu qui est national et on constate qu’il y a effectivement un mouvement qui nous amène vers une crise du logement plus accentuée à Rimouski et à Trois-Rivières. Le logement social est un dossier qui bouge beaucoup à la Ville, beaucoup de choses sont en train de se mettre en branle. » – Jean Lamarche, maire de Trois-Rivières.
Parmi les actions déjà posées, M. Lamarche mentionne que le budget annuel alloué aux logements sociaux est passé, sous la gouverne de l’actuel conseil, de 100 000$ en 2019 à 300 000 $ depuis 2020. Dans les actions à venir, le maire entrevoit la possibilité de créer un fonds annuel spécifique au développement de logements sociaux. Ce « bas de laine » serait nourri à partir d’un pourcentage qui pourrait aller jusqu’à 5 % des excédents (montants non affectés) du budget annuel de la Ville. Cette idée sera présentée au conseil municipal sous peu indique celui qui aimerait faire adopter cette mesure en mai.
Il ajoute également qu’il peut parfois s’avérer difficile d’arrimer le développement de logements sociaux avec les enveloppes budgétaires du gouvernement fédéral puisque les municipalités ne peuvent s’entretenir directement avec les instances fédérales. « On travaille plutôt avec l’Union des municipalités du Québec (UMQ) pour créer un programme distinct de soutien financier autonome qui servirait à la conversion de bâtiments existants, mais actuellement non résidentiels, en immeuble à logements », rajoute le maire. Cette mesure pourrait servir entre autres à la reconversion de certains terrains d’églises en logements sociaux. L’emplacement des anciens lieux cultes est stratégique puisqu’ils sont situés au cœur des premiers quartiers et donc à proximité des divers services et du circuit d’autobus. Il serait toutefois difficile de réaliser pleinement la volonté de la Ville de prioriser la densification en matière de développement social puisque les programmes gouvernementaux destinés à la décontamination des sols et à la reconversion de bâtiments ne sont pas toujours adaptés aux projets ou n’arrivent pas au moment propice.
La Ville travaille actuellement sur la refonte de son schéma d’aménagement qui devrait être adoptée en septembre 2021. « Cette démarche pourrait nous permettre de légiférer ou d’encadrer certains phénomènes qui affectent le taux d’inoccupation comme celui de l’hébergement Airbnb », ajoute le maire.
Comment encadrer la hausse des loyers ?
La Ville ne saurait toutefois intervenir directement dans la régulation des loyers puisqu’il s’agit d’une compétence provinciale, rappelle M. Lamarche qui dit travailler dans ce dossier à la conciliation du développement économique, social et environnemental.
Professeur à l’École de travail social de l’UQAM et chercheur à l’IRIS, Louis Gaudreau s’est penché sur les moyens dont les municipalités disposent pour encadrer les phénomènes de la gentrification et de la surenchère immobilière, responsables en bonne partie de la baisse de l’offre de logements abordables.
La Loi sur l’aménagement urbain permettrait depuis quelques années aux villes d’encadrer le développement immobilier pour s’assurer de l’intégration de logements sociaux dans les projets de développement immobilier. « Ce que Montréal et quelques autres villes ont déjà commencé à faire », soutient le chercheur. Il faudrait toutefois indique-t-il que cette loi provinciale s’applique également aux bâtiments déjà existants pour que les villes puissent imposer des contraintes aux investisseurs immobiliers en matière de tenure locative. Ainsi, il serait possible pour les villes d’empêcher ou du moins de limiter la conversion de logements autrefois abordables en résidences privées ou en condos, mieux connus dans le jargon immobilier sous les termes de copropriétés divisibles et codivisibles.