Du 27 au 30 mars dernier avait lieu le Salon du livre de Trois-Rivières. C’est dans ce cadre que s’est déroulé l’enregistrement d’un épisode spécial de l’émission et série balado La Tête dans les nuances. L’animateur Robert Aubin recevait Agnès Gruda, autrice et journaliste retraitée, Rachad Antonius, auteur et professeur titulaire retraité de sociologie à l’UQAM, et Jean-Michel Landry, professeur agréé au département d’anthropologie et de sociologie de l’université de Carleton et chercheur postdoctoral à l’université McGill. Le quatuor abordait une question sensible : comment comprendre le conflit israélo-palestinien ? Sous des angles historiques, sociologiques, anthropologiques et journalistiques, c’est avec sensibilité et franchise que les participant-es ont abordé ce conflit qui dure depuis plus d’une centaine d’années.
Comprendre la logique profonde
Pour tenter de comprendre à quel moment ce conflit a commencé, l’animateur s’adresse d’abord à Rachad Antonius, auteur du livre La conquête de la Palestine : de Balfour à Gaza, une guerre de cent ans. Celui-ci explique que, pour comprendre la logique profonde du conflit, il faut revenir à la Déclaration Balfour, en 1917, dans laquelle le gouvernement britannique exprimait son soutien à l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine, alors sous contrôle ottoman. Pour l’auteur, le conflit naît donc avec « l’objectif de prendre la terre de Palestine pour en faire un état d’Israël agrandi » et non avec l’arrivée du Hamas, en 1987.
La couverture journalistique dans un conflit asymétrique
Même si elle est une journaliste chevronnée qui a travaillé pendant plus de 40 ans dans le domaine, Agnès Gruda constate que couvrir de tels conflits peut parfois être difficile, en raison tant de la complexité du problème que de son aspect humanitaire. Au début des années 2000, alors journaliste à l’international, elle réalise plus d’une vingtaine de reportages au Moyen-Orient. Ce type de conflits soulève de nombreuses questions éthiques et oblige sans cesse à réfléchir aux limites du travail de vulgarisation. « Il est parfois difficile de rapporter les faits de manière objective dans un conflit profondément asymétrique », explique-t-elle.
De plus, avoir des informations, même sur place, peut être une tâche fastidieuse, et surtout dangereuse. En effet, depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, les autorités israéliennes ont interdit aux journalistes d’entrer dans la bande de Gaza, à quelques exceptions près et seulement pour des visites encadrées par l’armée. Cette interdiction a été maintenue malgré les demandes répétées des organisations de défense de la liberté de la presse de permettre aux médias internationaux de couvrir le conflit. Et plus de 200 journalistes palestiniens ont été tués à ce jour. Il est donc difficile de savoir ce qui se passe réellement.
Le colonialisme comme trame de fond
Un conflit aussi éloigné géographiquement peut parfois être difficile à concevoir pour les Canadiens et Canadiennes, en raison tant de la distance physique que du manque de repères culturels ou historiques. Pour Jean-Michel Landry, expliquer ce conflit à travers le prisme de l’anthropologie « peut être une bonne porte d’entrée sans en faire un cours d’histoire ».
Les trois spécialistes s’accordent pour dire que le conflit israélo-palestinien repose sur d’importantes inégalités de pouvoir. Jean-Michel Landry ajoute que la matrice de ce conflit est directement liée au colonialisme de peuplement. Ainsi, il est possible d’établir un parallèle avec les structures coloniales imposées au Canada aux Premières Nations et aux autres populations autochtones. Toutefois, on souligne que cette comparaison a ses limites en raison des contextes historiques très différents.
Et, pourtant, même si ce conflit peut paraître lointain, il a des répercussions bien réelles au Canada, que ce soit à cause de la présence de la diaspora des deux camps, des débats politiques, des manifestations ou encore des choix économiques des gouvernements et des institutions financières du Canada et du Québec. De nombreuses communautés canadiennes sont directement concernées par ces événements, en raison de liens familiaux, culturels ou politiques.
Le levier économique du Québec
Le Québec peut avoir une influence beaucoup plus forte qu’on peut le penser, et ce, grâce à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Ce fonds public fait partie des 30 plus importants fonds d’investissement au monde. Selon Jean-Michel Landry, environ 14 milliards de dollars provenant de ce fonds sont investis dans des compagnies – notamment des entreprises américaines comme Lockheed Martin et Carterpillar – qui participent activement au conflit en fournissant de l’armement et en « violant le droit international ».
Jean-Michel Landry souligne que cette capacité d’action confère au Québec un levier économique et politique considérable. En exerçant un contrôle plus rigoureux sur les choix d’investissement de la Caisse de dépôt et placement du Québec, le gouvernement québécois pourrait aligner ses décisions financières sur des principes éthiques et des valeurs de droit international.
En définitive, cette rencontre pleine de nuances permet de donner quelques clés d’analyse pour permettre de mieux saisir le contexte sous-jacent à ce conflit centenaire, même si des heures de discussions ne pourraient suffire pour tout aborder.
« La colonisation s’est accélérée depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. De plus en plus de familles se font chasser de chez elles, jeter en prison et voler leur terre. On en parle très peu parce que l’horreur des massacres à Gaza prend toute l’attention médiatique. Chaque fois que je suis allée en Israël et en Palestine, une phrase revenait souvent : on n’a pas encore assez souffert pour comprendre qu’il faut s’entendre.» – Agnès Gruda, journaliste retraitée et autrice
« Il y a une infrastructure économique à cet état colonial, mais on continue ici au Québec d’investir dans les pires acteurs. On tire des bénéfices et des dividendes des bombes qui tombent à Gaza avec la Caisse de dépôt et placement parce qu’on participe tous et toutes au Régime des rentes du Québec. On tire des bénéfices du génocide mais on a, puisque c’est un instrument public, la possibilité de retirer ces investissements-là.https://gazettemauricie.com/jean-michel-landry/» Jean-Michel Landry, professeur agréé de l’université de Carleton
« J’ai une image très vive dans mon esprit de 1993 : des petits enfants à Gaza qui mettaient des fleurs dans le canon des fusils de l’armée d’occupation parce qu’ils croyaient à Oslo. Et ça s’est effondré parce que l’Occident n’a pas eu le courage moral ni politique d’imposer une solution juste, et on en paye le prix aujourd’hui. » – Rachad Antonius, professeur titulaire retraité de l’UQAM et auteur