Dans la décennie qui a suivi la fin de la guerre froide en 1990, les dépenses militaires mondiales (en proportion du PIB) avaient baissé de moitié. Mais, depuis 2019, les États-Unis exercent des pressions pour que les pays membres de l’OTAN [1] augmentent substantiellement leurs dépenses militaires. Qui dit dépenses militaires accrues dit fragilisation des budgets de l’éducation, de la santé et de la protection sociale. Quelle pourrait être alors l’ampleur de ces coupures budgétaires dans les années à venir ? Pour répondre à cette question, jetons d’abord un coup d’œil sur l’évolution récente des dépenses militaires dans le monde.
Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [2], les dépenses militaires mondiales augmentent depuis 2019 et plus particulièrement depuis 2023, où les hausses enregistrées ont été les plus fortes depuis 15 ans, soit de 6,5 % en 2023 et de 7,4 % en 2024. Au dernier décompte, ces dépenses atteignaient des niveaux records de 2 443 G$ [3] en 2023 et de 2 460 G$ en 2024, des montants équivalents au PIB du Canada. Sans surprise, les États-Unis arrivent en tête avec des dépenses de 916 G$, suivis de la Chine (296 G$), de la Russie (109 G$), de l’Inde (84 G$) et de l’Arabie saoudite (76 G$). À eux seuls, ces cinq pays sont responsables de 66 % des dépenses militaires mondiales.
Des pressions de dépenses à la hausse
À l’échelle canadienne, le budget de la défense s’élevait à 41 G$CA en 2024. Mais le Canada, comme d’autres pays, [4] se fait montrer du doigt parce qu’il n’a pas atteint la cible de l’OTAN, qui fixe le ratio des dépenses militaires à 2 % du PIB. À la suite des pressions accrues des États-Unis, le gouvernement canadien s’est engagé à faire passer ce ratio de 1,37 % en 2024 à 2 % d’ici 2032-2033, ce qui ferait doubler le budget de la défense canadienne en seulement huit ans, de 41 G$CA en 2024-2025 à 82 G$CA en 2032-2033.
Selon le Directeur parlementaire du budget, [5] le chiffre de 82 G$CA sera insuffisant pour atteindre la cible de 2 % du PIB étant donné qu’il sera plus élevé que le montant prévu par le gouvernement. [6] En conséquence, le budget militaire devrait frôler les 100 G$CA, soit 60 milliards de plus que les 41 milliards d’aujourd’hui. Où donc prendre ces 60 milliards additionnels ?
Des enjeux importants
Trois possibilités s’offrent au gouvernement pour supporter cette hausse des dépenses militaires : augmenter les impôts, couper dans les dépenses sociales, de santé et d’éducation, ou défoncer le plafond de la dette par rapport au PIB. Puisque le gouvernement fédéral s’est engagé à limiter le ratio de son déficit budgétaire à 1 % du PIB, la troisième option est écartée pour l’instant. Quant à l’option de hausser les impôts, la probabilité est forte qu’elle soit écartée pour des raisons électoralistes. Au final, des restrictions budgétaires pourraient être appliquées dans les autres missions de l’État.
Pour illustrer l’ampleur de ces restrictions, voici ce que pourraient représenter ces 60 milliards additionnels de dépenses militaires. Puisque ce montant équivaut à 82 % des dépenses publiques en éducation primaire et secondaire, à 21 % des dépenses fédérales de protection sociale [7] et au quart des dépenses publiques en santé, [8] les montants en jeu seraient respectivement de l’ordre de 49 G$CA, de 13 G$CA et de 15 G$CA.
Or, la cible de 2 % du PIB pourrait être portée à 3 % lors du prochain sommet de l’OTAN en juin, de sorte que le Canada devrait hausser son budget militaire à 90 milliards de dollars. Pareil montant pourrait s’avérer catastrophique pour le financement des autres missions de l’État, étant donné que ces 90 milliards représenteraient 122 % des dépenses publiques en éducation et le tiers des budgets de la protection sociale et de la santé, c’est-à-dire des montants de 110 G$CA dans l’éducation, de 27 G$CA dans la protection sociale et de 30 G$CA dans la santé. Imaginez les montant en jeu si le Canada devait dépenser 150 G$CA pour se conformer à la demande de Trump de porter le budget militaire à 5 % du PIB. Cela conduirait à charcuter une partie importante du budget de l’État, comme le fait actuellement Elon Musk aux États-Unis.
Des alternatives
Devant l’impasse budgétaire qui se profile entre le réarmement accéléré et les enjeux sociaux et environnementaux toujours grandissants, on se doit d’exercer des pressions dans deux directions. D’abord, inciter nos gouvernements à investir dans la prévention des conflits plutôt que dans les préparatifs de guerre. Ensuite, investir dans l’aide aux pays pauvres qui sont les plus grandes victimes des conflits armés.
Enfin, étant donné la posture de monopoles des fabricants d’armes, lesquels profitent largement des commandes de l’État, il serait opportun de leur imposer une surtaxe sur leurs profits réels, en tenant compte des montants mis à l’abri dans des paradis fiscaux. Et puisque ce sont les plus riches qui possèdent une large part des actions de ces entreprises, une surtaxe sur les gains en capital réalisés par les actionnaires de ces compagnies serait la moindre des choses dans le contexte actuel. Enfin, il faudrait supprimer toutes les formes d’aide à ces entreprises, qu’elles soient directes ou indirectes, comme c’est souvent le cas dans le domaine de la recherche et développement.