Alex Dorval – Environnement – mai 2021
Le président d’Énercycle et maire de Shawinigan Michel Angers confirmait le 21 mai que la collecte et le traitement des matières compostables (les fameux bacs bruns) seront implantés en juin 2023 dans l’ensemble de la Mauricie. Une lueur d’espoir pour le groupe citoyen qui s’est mobilisé le 14 mai afin de manifester contre les multiples reports de cette implantation depuis 2004. « Ce que j’en comprends c’est qu’on a rendez-vous avec Michel Angers en juin 2023 », réagissait Charles Fontaine, porte-parole de Citoyen.nes du monde et de chez nous, groupe à l’origine de la récente mobilisation.

Michel Angers, maire de Shawinigan et président d’Énercycle annonçait en point de presse le 21 mai 2021 que les bacs bruns seront finalement implantés dans l’ensemble de la région en juin 2023. – Photo : Alex Dorval
Rappelons d’emblée qu’Énercycle est le nouveau nom de la Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie, gérée collectivement par les élus de la région depuis maintenant 30 ans.
Lors du point de presse du 21 mai, le président d’Énercycle Michel Angers a retracé l’historique du dossier du fameux bac brun dans la région en énumérant les divers incidents qui ont ralenti le processus d’implantation. De l’entente désastreuse avec les serres Savoura à la complexité d’arrimer les projets avec les exigences et programmes du gouvernement provincial, en passant par les craintes des citoyens de Saint-Étienne-des-Grès quant aux risques d’odeurs et les nombreux voyages et rencontres nécessaires pour trouver la bonne technologie qui permettrait de concilier environnement et économie :
« Une vaste démarche d’exploration et d’analyse des différents types de procédés de compostage et de biométhanisation a été réalisée. Une dizaine de procédés de traitement ont été explorés incluant plusieurs visites de centres existants au Québec, en Ontario et en Europe. Les préoccupations de la Municipalité hôtesse et des citoyens riverains ont été considérés lors de l’analyse de différents modes de traitement et finalement, ce sont les systèmes en milieu fermé sous bâtiment qui seront privilégiés. » – Communiqué de presse, Énercycle, 21 mai 2021
Mais au-delà de ces considérations techniques, les citoyens mobilisés semblent douter de la qualité de gestion des élus. « Le maire Angers dit qu’ils ne se sont pas traîné les pieds, mais c’est difficile de croire qu’il n’y a pas eu de frilosité politique et que personne ne sera au final tenu responsable des échecs et retards. Si le maire Angers avait été le coach des Canadiens de Montréal, ça ferait longtemps qu’on l’aurait congédié ! », image M. Fontaine, ajoutant que même si « personne n’aime réparer les pots cassés », les citoyens sont en droit d’exiger un devoir de résultat de la part des élus.

Mobilisation citoyenne du 14 mai devant le site d’enfouissement d’Énercycle à Saint-Étienne-des-Grès pour manifester contre les multiples reports de l’implantation du bac brun. – Photo : Alex Dorval
Peut-on parler d’acceptabilité sociale ?
Pour M. Fontaine, « s’il n’y a pas consensus, il y a tout de même de l’acceptabilité sociale » face au compostage.
D’autres observateurs émettent toutefois des réserves quant à la perception de l’ensemble des gens du territoire : « Il y a eu un épisode de compostage à St-Luc-de-Vincennes qui a été catastrophique au niveau de la gestion. L’entreprise privée qui gérait le site n’aurait pas respecté le cadre régissant les bonnes pratiques, ce qui a causé d’importants problèmes d’odeurs, en plus de soulever l’ire de la population locale. C’est une situation problématique qui a certainement laissé des traces dans la conception que se font les Mauriciens du compost », rappelle Lauréanne Daneau, directrice générale chez Environnement Mauricie.
À Saint-Étienne-des-Grès où se situe l’un des deux sites d’enfouissement d’Énercycle, plusieurs citoyens auraient également fait part de leur désagrément. Il semblerait donc qu’il ne soit pas si simple de déterminer si l’acceptabilité sociale est au rendez-vous. « Surtout à l’ère des médias sociaux », soulève Mme Daneau qui croit que les algorithmes peuvent parfois donner l’impression aux diverses parties prenantes que leur vision est partagée par le reste de la société. Elle croit qu’il ne faut pas se leurrer, « il y a une bonne partie de la population qui ne veut toujours pas recycler et qui ne veut rien savoir du compost. On a les deux extrêmes qui poussent soient pour le statu quo ou pour que le dossier progresse plus rapidement. »
Peut-on parler de frilosité politique ?
Pour Mme Daneau, « c’est un dossier qu’on peut prendre sous plusieurs angles. Il y a la question de l’acceptabilité sociale, mais il y a aussi les décisions politiques pour lesquelles les élus sont imputables. En 2011, le Gouvernement du Québec annonçait son ambition de bannir les matières organiques de l’enfouissement d’ici 2020. À force de ne pas respecter leurs cibles, sur ce dossier comme sur tant d’autres, les gouvernements du Québec comme les gouvernements municipaux contribuent à effriter le lien de confiance avec la population. »
Ce constat se traduit d’ailleurs dans les recommandations du mémoire qu’Environnement Mauricie déposait au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) le 14 mai dernier.
« Les institutions publiques ont un devoir de résultats envers la société quant aux politiques et cibles de performance qu’elles adoptent. Il en va de sa crédibilité et de la qualité du lien de confiance tissé avec la population, lien essentiel pour susciter de l’engagement et des changements d’habitudes permettant une réduction significative de l’enfouissement. » – 1re recommandation du mémoire d’Environnement Mauricie intitulé État des lieux et la gestion des résidus ultimes, déposé au BAPE le 14 mai 2021.

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Malgré tout, Mme Daneau voit d’un bon œil la suite des choses : « si certains élus avaient besoin d’être convaincus pour faire avancer le dossier plus vite, la Mauricie est maintenant sur une bonne voie. D’ailleurs, le choix de faire du compostage et de la biométhanisation est vraiment intéressant, car Énercycle montre un souci de valoriser au maximum les gisements de matières », dit-elle. Ce sont donc deux usines qui seront construites d’ici décembre 2023 pour raffiner les biogaz générés par la plateforme de compostage, mais aussi les biogaz des cellules d’enfouissement, pour ensuite le vendre à profit à Énergir.
Répondant à la question de M. Fontaine quant à la garantie de l’implantation des bacs bruns en juin 2023, Michel Angers confirmait une subvention de 3 millions de dollars qui permettra à Énercycle de passer la commande de construction des bacs bruns dans les prochaines semaines. Une dépense qui s’élève à 9M$. Partiellement rassuré, M. Fontaine croit que la situation demeure préoccupante : « Quand on se compare avec le reste des municipalités du Québec, c’est honteux. Pourquoi les autres villes ont-elles réussi et pourquoi n’avons-nous pas réussi ? ».