Qu’il s’agisse d’une véritable crise sociopolitique, d’une circonstancielle pénurie de logements abordables ou d’un battage mené par les médias et alimenté par les partis d’opposition, l’épineuse question de l’habitation est définitivement inscrite à l’agenda en vue des élections de 2022. Dès lors que le parti au pouvoir nie l’existence de la crise, il semble toutefois qu’il ne reste comme postures médiatiques que spéculer, juger ou se taire.
Si la question du bon choix de mots pour qualifier la problématique (crise, pénurie, surchauffe, etc.) a été largement débattue dans l’espace public, une lecture plus approfondie des communiqués et de la revue de presse fait ressortir quelques angles morts dans le traitement médiatique. Est-ce seulement la faute des journalistes complaisants et des méchants médias ? Ce n’est pas si simple que ça !
Nier
Bien qu’ils refusent toujours de qualifier la situation de « crise du logement », François Legault et Andrée Laforest (ministre des Affaires municipales et de l’Habitation) ont présenté des solutions à une problématique qu’ils jugent non généralisée, mais propre à certaines villes et certains arrondissements de la métropole. Le 3 février dernier, la ministre annonçait ainsi un investissement de 200 millions visant la construction de logements abordables.
Ironie ou pragmatisme, le gouvernement a choisi de répondre avec « urgence » à une situation qu’il refuse de qualifier de « crise ».
Alors, aurait-il été possible de présenter les mêmes solutions tout en reconnaissant le caractère plus généralisé d’une « crise du logement » ? Quels sont « les impacts » qu’il faudrait craindre du fait de parler d’une « crise », auxquels François Legault faisait allusion au printemps 2021 en réponse aux attaques de l’opposition ?
Une interprétation possible est qu’en choisissant de nier la crise, le gouvernement déplaçait le cadre d’analyse d’une crise sociopolitique vers une crise médiatique.
Il venait du même coup de réduire le travail des journalistes à un travail spéculatif. Plutôt que de chercher à informer sur les causes de cette crise, on allait désormais spéculer sur la nature de la problématique. Crise ou pas crise ?
Les stratèges politiques savent bien que le cadre du déni permet de faire diversion. En tuant dans l’œuf la curiosité critique des journalistes, on éloigne l’attention des causes de la crise.
Juger
Après s’être attardés sur la nature de la problématique, les médias ont surtout adopté l’angle restreint du jugement moral opposant locataires et locateurs.
Le scénario du locateur avide de profit qui augmente démesurément le loyer d’un locataire vulnérable traduit un rapport de force réel qui mérite d’être dénoncé. Mais le véritable problème est plutôt qu’en mettant l’accent sur un bouc émissaire (petits propriétaires) et en moralisant le cas, les médias laissent les acteurs économiques, politiques et financiers se complaire dans le silence.
Ce constat s’impose par suite de la prédominance de la thématique locataire versus locateur observée dans le traitement journalistique ainsi que de la faible diversité et la redondance des acteurs publics et des experts qui se sont prononcés depuis trois ans sur la nature de cette « crise », sur ses causes et ses solutions.
En effet, si la crise du logement est une crise sociale qui touche une myriade de citoyen(ne)s et d’organisations, la médiatisation aura participé à réduire celle-ci à une lutte entre le représentant de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Hans Brouillette, et Véronique Laflamme, représentante du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Bien que cruciales, leurs postures médiatiques ne sauraient suffire à elles seules à constituer une analyse complète et impartiale de la situation.
En ce sens, l’angle médiatique qui oppose la CAQ aux partis d’opposition fait figure de doublure politique de cette personnalisation polarisante de la « crise du logement ».
Se taire
Le déni est souvent interprété comme la réponse de celui qui, par obligation, ne pouvait plus se taire. Ainsi, les élu.e.s se retrouvent tôt ou tard à devoir répondre à une question gênante. Une réalité qui n’est toutefois pas celle de tous les acteurs concernés par les problématiques de l’habitation.
Au banc des personnes qui ont reçu trop peu d’attention ou qui ont stratégiquement choisi de se taire dans le contexte de la couverture médiatique de la « crise du logement », nous pouvons penser à plusieurs spécialistes de l’économie, aux banquiers, aux prêteurs hypothécaires, aux compagnies de gestion immobilière, aux courtiers immobiliers, aux inspecteurs immobiliers, aux entrepreneurs généraux, aux fournisseurs de matériaux de construction, et j’en passe.
Silence stratégique
Au-delà de la dyade proprio-locataire, c’est une panoplie d’acteurs œuvrant au sein d’un vaste écosystème socioéconomique qu’il faut questionner quant à la nature de cette crise sociale, à ses causes et aux solutions à privilégier. Encore faudra-t-il dépasser le déni politique et tempérer la moralisation médiatique afin de dégager un portrait juste et global d’une problématique aussi complexe.
Mais la complexité, n’est-ce pas là l’essence d’une crise ?