À l’heure où ces lignes sont écrites, on nous dit que le lock-out à l’aluminerie de Bécancour pourrait durer longtemps. On prétend même que les propriétaires de l’entreprise avaient prévu le coup. Qu’ils auraient manœuvré de sorte qu’ils puissent fermer deux des trois séries de cuves de l’usine. Selon leurs calculs, le prix de la tonne s’en trouverait ainsi rehaussé, car la demande dépasserait l’offre sur le marché de l’aluminium. Et ce n’est pas tout. Comme l’usine n’a pas fait depuis longtemps l’objet d’investissements importants pour mettre ses équipements à jour, la possibilité que les propriétaires mettent définitivement la clé sous la porte ne saurait être écartée.
Dans la foulée, on a entendu quelques observateurs dénoncer la stratégie syndicale. Les syndiqués seraient, a-t-on suggéré, les artisans de leur malheur. D’autres n’ont pas hésité à les comparer à des enfants gâtés qui se plaignent alors qu’ils sont payés 40 $ l’heure. Au final, cette fois de l’avis de la majorité des commentateurs, c’est l’ensemble de l’économie de la région qui se trouvera à pâtir. Vrai. Les 1 300 travailleurs de l’usine, les sous-traitants et les commerces subiront les lourdes conséquences de ce conflit de travail.
Mais le tableau est incomplet. Sauf erreur, on n’a pas vu grand monde saluer le courage des employés d’ABI. Car un lock-out ou une grève, quoi qu’on en dise, ça fait mal. Parlez-en aux travailleurs de Delastek à Grand-Mère qui font le pied de grue depuis trois ans aux abords de l’usine. Ainsi les travailleurs de Bécancour et leur famille acceptent à leur tour de souffrir pour protéger leur régime de retraite et faire respecter les règles de l’ancienneté, tout autant que celles de la solidarité intergénérationnelle. C’est dire qu’il se passe là quelque chose qui n’est pas banal.
On sort en effet de l’ordinaire, qui consiste trop souvent en un lot de renoncements répétés ou de compromis dociles devant les diktats de l’économie. Or, justement, quand quelques-uns jouent leur va-tout et se tiennent debout, on ne saurait que s’en réjouir ! Qu’il y ait encore en 2018 des salariés prêts à défendre avant tout des principes, cela devrait forcer l’admiration.
La Gazette de la Mauricie n’est pas un journal syndical. C’est un journal communautaire. Il se trouve cependant que le combat des travailleurs de Bécancour est aussi le nôtre. Comme eux, nous estimons qu’il faut mettre de l’avant les valeurs relatives à l’équité et à la protection de certains acquis arrachés, faut-il le préciser, de haute lutte. De même, nous estimons que leurs revendications profiteront par effet d’entraînement à l’ensemble du secteur de l’aluminium. Une suite logique si on se souvient que les travailleurs d’Alcan à Alma en 2012, au terme d’un lock-out de six mois, avaient obtenu un contrat de travail dont les clauses ont bénéficié à tous les employés de l’industrie. Pour mémoire, à l’issue de ce conflit, Rio Tinto/Alcan donnait le coup d’envoi à l’agrandissement de l’aluminerie almatoise.
Les choses étant ce qu’elles sont, la grande zone métropolitaine de Trois-Rivières et de Bécancour se doit de montrer un front uni devant la multinationale américaine. En nous divisant sur ce point, nous risquons à la fois de perdre l’usine et d’être dépossédés de l’honneur d’avoir soutenu une juste cause.