Ça y est !
Cette année, le parti au pouvoir part avec deux prises et demie contre lui. C’est le seul à pouvoir être blâmé pour les misères matérielles et existentielles de la population. Que ce soit à tort ou à raison, nombre des électeurs perçoivent la présidence de Biden comme étant une présidence douloureuse économiquement et qui les fait craindre pour leur sécurité. Je dis bien « perçoivent ». Les données économiques, sur la criminalité et sur l’immigration disent autre chose, mais les Américains, comme la majorité des personnes ailleurs dans le monde, votent à partir de ce qu’ils perçoivent, de ce qu’ils ressentent. Et la moitié ressentent que c’est Trump qu’il leur faut, l’autre moitié ressentant que Harris est la femme de la situation.
Trump a personnellement à gagner s’il est élu. Déjà reconnu criminellement coupable de 34 chefs d’accusation pour fraudes en mai 2024 (jugement porté en appel), il aussi été mis à l’amende, lourdement, dans deux litiges l’opposant à l’écrivaine E. Jean Carroll, et dans un autre pour avoir commis des actes de financement électoral illégal dans la cause mieux connue sous l’appellation « le cas Stormy Daniels ».
Des causes criminelles importantes trainent toujours : celle des documents classifiés conservés illégalement à Mar-a-Lago après sa présidence (37 charges), celle concernant son implication dans les événements du Capitol le 6 janvier 2021 et une autre poursuite criminelle, incluant aussi 18 co-conspirateurs dont certains ont déjà reconnu leur culpabilité, pour des actes de subversion électorale dans l’état de Georgie.
Alors si Trump est élu, qu’a-t-il à gagner ? Tout bêtement le fait qu’à titre de Président des États-Unis, il pourrait ordonner l’abandon de certaines de ces poursuites et s’autopardonner pour des condamnations déjà prononcées dans des procès de juridiction fédérale.
S’il n’est pas réélu cependant, je n’ai aucun doute que l’épisode des quatre dernières années aura une suite encore plus acerbe. Un récent article de Politico [3] fait le tour de la question :
- Il niera sa défaite en invoquant la fraude électorale à grande échelle.
- Il semble clair pour nombre d’analystes que Trump repartira encore avec la mission de renverser les résultats. En fait, Trump et ses alliés préparent déjà le terrain pour de multiples contestations et vaporisent généreusement l’idée qu’ils vont largement gagner et que si ce n’est pas le cas, cela sera la preuve que les élections auront été truquées.
- Il va continuer, et même intensifier, ses efforts pour discréditer le système électoral et le système judiciaire.
- Il va demander l’aide d’alliés influents dans les états où il perd pour empêcher la certification des résultats électoraux.
- Il va tenter de remplacer les grands électeurs de certains états par d’autres qui lui sont plus fidèles.
En ralentissant ou en paralysant la certification des résultats, et en tentant de remplacer certains grands électeurs, il espère empêcher Harris d’atteindre les 270 votes électoraux nécessaires à son élection. La conséquence, s’il réussit, est que le choix du Président sera dévolu à la Chambre des représentants à raison d’une voix par état et non par grand électeur. Net avantage républicain si une telle éventualité se concrétise.
Le jour où les démocrates ont perdu l’élection…
Le grand rassemblement de Trump au Madison Square Garden d’il y a une semaine (le 28 octobre dernier) fut le théâtre de calomnies, d’injures et de blagues racistes qui ont vite fait le régal des démocrates. Mais le festin n’aura été que de courte durée, Joe Biden lui-même ayant cru bon de partager librement son ressentiment envers les partisans républicains : ce n’est pas Puerto Rico qui est une île flottante de déchets, ce sont les supporter de Trump qui sont des ordures a-t-il dit.
Évidemment, Trump s’en est indigné et s’est empressé de se porter à la défense de ses 250 millions de supporters américains (son estimation à lui !) insultés par ce commentaire de Biden. Notez que la population des États-Unis est d’environ 350 millions de personnes, dont quelques 250 millions sont des électeurs potentiels (ayant l’âge légal de voter). Le taux de participation est entre 60% et 70%. Faites le calcul : selon Trump, le nombre de ses supporteurs est égal au nombre total de personnes pouvant potentiellement voter. Tout le monde est un supporteur de Trump, selon lui, et ceux-ci seraient largement plus nombreux que le nombre total de personnes qui iront effectivement voter !
… et peut être regagnée !
Sauf que Trump est Trump. Il y a 4 semaines, à peu de chose près, il se disait le plus grand protecteur des femmes. Il y a deux semaines, il était le père de la fertilisation in-vitro. Le jeudi 31 octobre, Halloween oblige, il remet son costume de sauveur et promet de protéger les femmes, qu’elles le veuillent ou non. C’est une merveilleuse époque pour être une femme américaine !
Évidemment, Harris a saisi la bourde au bond. Pour l’instant (1er novembre), la récupération va bon train et les propos de Biden tombent dans l’oubli médiatique. Ils ressusciteront peut-être, si les républicains gagnent l’élection, en tant qu’explication ultime de l’entrée de l’Amérique dans une nouvelle ère Trump. Mais le 1er novembre a vu ce dernier offrir un autre cadeau aux démocrates.
Cette journée a été perturbante pour Liz Cheney que The Globe and Mail a qualifiée de dernière vraie héro démocrate. Cheney est cette ancienne représentante du Wyoming qui a été très critique des positions de Trump en matière de politique internationale et qui a complétement délaissé celui-ci après les événements du 6 janvier 2021. Elle a ensuite voté en faveur de sa destitution en réaction à son rôle d’instigateur des violences lors de l’assaut du Capitol. Dernier point, mais non le moindre : en juillet 2021, Cheney a été nommée vice-présidente du comité chargé d’enquêter sur les agissements et les responsabilités de Trump dans les événements du 6 janvier 2021. Elle joue dans la tête de Trump depuis ce temps.
Alors pourquoi le 1er novembre aurait été une journée perturbante pour Liz Cheney? Trump a relevé de plusieurs crans la barre des propos inquiétants :
Elle est un faucon guerrier radical. Plaçons-la avec un fusil debout en face de neuf chargeurs lui tirant dessus, d’accord? Voyons comment elle se sentira par rapport à cela, vous savez, quand les fusils sont pointés sur son visage. [4]
Les démocrates ont tiré à bout portant sur cette déclaration de Trump faite en Arizona, évidemment parce que de tels propos sont en soi inacceptables. Il faut aussi se rappeler que même si Liz Cheney demeure républicaine, elle appuie Kamala Harris au point de faire des apparitions et des discours lors de rassemblements démocrates partisans. Certains ont dit que de tels propos devraient disqualifier Trump de la course à la présidence et l’Agence Reuters [5] a rapporté que le procureur général de l’Arizona enquête pour déterminer si ces propos ne pourraient pas constituer des menaces au sens criminel.
Les votes anticipés et par la poste
Avec plus de 72 millions de votes anticipés et par la poste à ce jour, les électeurs seront nombreux à se prononcer avant le mardi 5 novembre 2024. Il est plausible que plus de 50 % des électeurs optent pour l’une ou l’autre des possibilités leur permettant de faire leur choix avant la date officielle des élections. Cette tendance s’est accentuée d’élection en élection passant de 46 millions de votes en 2012 à 50 millions en 2016 et 101 millions en 2020 (année de Covid). [6] Elle est aussi bien présente ailleurs, dont ici au Canada et au Québec. Il y a pourtant une conséquence importante à cette dispersion des votes dans le temps.
Si on considère uniquement la semaine qui vient de se terminer, Trump a tenu un rassemblement au Madison Square Garden qui a été le théâtre de blagues racistes sur Porto Rico en particulier, Biden en a rajouté une couche en traitant d’ordures les supporteurs de Trump et Trump a manifesté des intentions malveillantes et menaçantes à l’endroit de Liz Cheyney (et aussi de John Bolton, ancien conseiller à la Sécurité nationale sous Trump).
Tous les votes avant le dimanche 28 octobre 2024, et il y en avait plus de 60 millions à ce moment, ont été déposés sans avoir ces informations (et bien d’autres) de la dernière semaine avant l’élection. On sait maintenant que les propos du rassemblement républicain du 28 octobre ont eu un impact sur les Américains d’origine portoricaine et sur les latinos en général. On sait aussi que les propos de Biden ont insulté les républicains et on sait aussi que les menaces à l’encontre de Liz Cheney sont à un point sérieuses qu’une enquête criminelle pourrait, en Arizona, nuire à la campagne de Trump. Tout ça en une semaine seulement.
Lors de la présidentielle de 2020 le taux de participation a été de 66 %, taux le plus élevé depuis plus de cent ans, et pour la présente année ce pourcentage pourrait atteindre un nouveau sommet, atteignant les 70 %, peut-être plus. Compte tenu que près de la moitié des votes seront possiblement des votes anticipés ou par la poste avant le 5 novembre, on parle de plusieurs dizaines de millions de personnes qui, au moment de faire leur choix, n’auront pas encore vécus la semaine du 28 octobre. Ont-ils fait un choix éclairé? Ont-ils des regrets? Chose certaine, selon le moment du vote, les informations disponibles ne sont pas les mêmes pour tout le monde et ces informations ont un impact sur l’opinion des électeurs.
Ajoutons qu’en 2020 le vote anticipé et par la poste, dépouillé et compté après celui sur place la journée de l’élection dans certains états comme la Pennsylvanie, a favorisé les démocrates qui ont été plus nombreux que les républicains à se prévaloir de cette modalité. Trump avait alors instillé la méfiance envers ces votes potentiellement frauduleux selon lui, et les républicains ont préféré voter sur place à la date de l’élection. Cette année il a, au contraire, demandé à ses partisans de voter nombreux en avance. Il semblerait qu’il ait été entendu et que cette fois-ci, ce sont les républicains qui auront été plus nombreux à se prévaloir de cette possibilité. Nous saurons la semaine prochaine si tel est le cas.
Prime à l’urne ?
Y aura-t-il une surprise dans le vote ? Est-ce que les résultats seront significativement différents de ce que les sondages annonçaient ? Y aura-t-il, donc, une prime à l’urne pour les démocrates ou le GOP ?
Il y en aura sûrement une. Tout est à égalité, au national comme dans les états pivots. Et il faut bien qu’il y ait un gagnant… Le vote pour Harris, de la part des républicains, est-il un plaisir coupable, mais inavouable ? Le vote pour Trump est-il un geste commis sous l’influence d’une opinion honteuse devant rester secrète ?
La prime à l’urne lors de l’élection de 2020 est allée aux républicains, les démocrates ayant remporté six des sept états pivots de cette année-là par des marges beaucoup plus faibles que ce qui était annoncé par les sondages. Mais pour le plaisir de l’exercice, voici quelques raisons pour lesquelles la prime à l’urne pourrait bénéficier aux démocrates cette année :
- le vote des femmes, dont l’opinion est peut-être plus discrète que celle des hommes, aura possiblement un impact plus grand que lors des élections précédentes, la question de l’avortement étant un enjeu fortement mobilisateur;
- le vote des jeunes, plus difficiles à sonder, suscite aussi un certain espoir chez les démocrates;
- le vote des latinos pourrait bénéficier d’un réalignement de dernière minute, difficile à prévoir par les sondages, en réaction aux propos tenus lors du rassemblement démocrate du 28 octobre dernier au Madison Square Garden;
- l’arrivée tardive de Kamala Harris dans la campagne pourrait faire en sorte que les sondeurs se soient mal ajustés et aient sous-estimé (échantillonnage, pondération des résultats, répartition des indécis, …) les intentions de vote en faveur de l’actuelle Vice-Présidente.
Concernant ce dernier point, il faut dire que l’une des raisons pour lesquelles les sondages de 2016 et 2020 ont été critiqués est que l’effet Trump avait été mal compris et mal pris en compte dans la méthodologie. En conséquence, les sondeurs veulent éviter que la situation ne se reproduise et, hypothèse émise par Justin Brown de Politico, ils risquent de trop porter attention à l’effet Trump cette fois-ci, et de négliger l’effet Harris.
En 2016 et 2020, celles et ceux qui ont voté pour Trump étaient peut-être plus timides dans leurs opinions avant le vote, mais certainement pas cette année. Pour Harris cependant, certains indices laissent croire qu’il peut y avoir une partie de ses partisans qui auraient cette timidité et qu’un effort de conviction soit payant.
Depuis quelques jours, une publicité met en scène la voix de Julia Roberts (il y en a aussi une autre similaire avec la voix de George Clooney). Une femme va voter pour un candidat différent (démocrate) de celui de son conjoint, à son insu, avec ce conjoint qui lui demande si elle a fait le bon choix. Cette publicité, qui dit que les femmes peuvent voter pour qui elles veulent et que jamais personne ne le saura, a irrité Trump au plus haut point. Elle a été fortement décriée par les républicains pour qui il est inconcevable qu’une conjointe vote différemment de son conjoint. Un commentateur politique pro-Trump a même dit que de mentir sur son vote équivaut à avoir une relation extraconjugale ! Une corde sensible autre que la grosseur des foules a-t-elle été touchée ?
Intentions de vote nationales
La présidentielle 2024 fera partie de l’histoire pour tous les rebondissements et événements exceptionnels qui l’auront caractérisée, et aussi pour le portrait d’une Amérique divisée que les sondages ont contribuer à dépeindre. À moins de 24 heures du scrutin, tant pour les intentions de vote nationales que dans les sept états pivots, on ne peut que répéter que la tension est à son paroxysme et qu’aucune prédiction ne tient la route.
Après le retrait de la course de Joe Biden, il semblait clair que Kamala Harris prenait les commandes et redonnait de la vigueur à un parti démocrate qui s’enlisait. L’argent rentrait, le happy ticket Harris / Walz soulevait les foules lors de la convention démocrate et les appuis fusaient de toute part, même de certains républicains influents.
Mais finalement, les dernières semaines n’ont pu confirmer cet élan et la course à la présidence se termine par la plus égale des égalités. À l’échelle nationale, le site 538 donne un maigre 1,1 point d’avance au parti de Harris et RCP ne consent qu’une minuscule différence de 0,1 point en faveur du parti républicain. Le score dans les intentions de vote nationales ne garantit rien et il aurait fallu au moins 6 à 8 points de différence pour espérer que cet indicateur soit précurseur d’une victoire pour l’un ou l’autre des deux partis.
Retour sur les états pivots
Dans les sept états pivots, aucun écart ne dépasse les 2 points de pourcentage, sauf en Arizona qui a vu les démocrates faire une remontée à la fin du mois d’août. Mais depuis, ils ont repris la place qu’ils occupaient au tout début de ce mois, derrière les républicains. Même à cela, l’écart entre les deux partis n’est pas assez grand pour être significatif et toutes les surprises sont possibles.
Ce qui ne sera pas une surprise, toutefois, est qu’après le 5 novembre Trump sera au pouvoir, ou non, et dans ce cas il refera le coup de 2020. Et tout le monde a hâte de voir. Fascination malsaine, mais irrésistible ?