Dans le cadre d’une série de rencontres d’artistes de la Mauricie intitulée Donner des fleurs au suivant, nous donnons l’opportunité à chaque artiste de désigner la prochaine personne dont nous ferons le portrait. La précédente artiste rencontrée, l’autrice-compositrice-interprète Laura Niquay, a nommé l’artiste multidisciplinaire Jacques Newashish, que nous avons rencontré à l’Atelier Presse Papier. Ce texte ne représente que quelques bribes de la carrière de celui qui a cultivé une amitié avec Armand Vaillancourt, fondé un camp traditionnel et permis de faire connaître la culture atikamekw ici et ailleurs.
Comment décrirais-tu la manière dont l’art est arrivé dans ta vie?
Oh mon dieu, il est arrivé plusieurs fois ! C’est pas juste une fois… C’est des étapes, je pense. Ce dont je me souviens, c’est il y a longtemps, c’était au primaire, à l’école, et qu’on avait la chance d’avoir du papier et des crayons. Je ne faisais pas de l’abstrait au début, mais c’est là que ça a commencé.
Je dessinais des portraits de gens qui étaient assis en face ou à côté de moi, des profils. Ça a continué pendant que j’étais à l’école, parce que je suis allé au pensionnat. Après, ça a toujours continué. Au secondaire, je me suis rendu compte que j’avais un pouvoir. Les gens trouvaient que c’était beau, ce que je faisais, et ça me flattait d’avoir des bons commentaires. Tu vas chercher une certaine reconnaissance, de l’amour, je dirais. Et quand t’es ado ou enfant, de l’amour, t’en as besoin.
Je m’étais ramassé avec deux livres sur les photos d’Edward Sheriff Curtis, [le photographe ethnologue] qui a fait le tour des communautés autochtones [des États-Unis] vers la fin des années 1800. Alors j’avais ces livres-là en noir en blanc, et j’ai continué à faire des portraits, plus imposants, plus grands.
C’est là que j’ai appris à savoir qui je dessinais, et aussi à connaître leur histoire, l’histoire de tous les peuples autochtones de l’Amérique, quelle vie ils ont eue, quand il y a eu l’arrivée des hommes blancs, la conquête de l’Ouest. Tassés, tués, exterminés. Je lisais ça, ça me faisait de quoi. J’étais fâché. J’étais prêt à faire la révolution. Je dis souvent que j’aurais aimé être guerrier à cette époque-là. Ça m’a permis d’améliorer le dessin, le fait que les photos étaient en noir et blanc, parce que je travaille beaucoup avec l’encre de Chine. Ça m’a permis d’être fier de qui j’étais.
Est-ce que cette colère-là t’habite encore, celle que tu as vécue en apprenant l’histoire des peuples autochtones ?
La colère, j’en ai besoin, je pense qu’elle me nourrit. Je ne pourrais pas être indifférent face à une personne qui se fait tabasser ou quand on est en train de couper toute une forêt. Je ne peux pas être indifférent à ça. Oui, des fois, je suis en colère encore, mais je sais que j’ai un pouvoir de prise de parole pour défendre.
Je disais l’autre jour que les arbres, le territoire, les animaux, eux, ils n’ont pas la parole pour nous dire « C’est assez ». Nous, on a le pouvoir. J’essaie de prendre cette parole-là à travers des œuvres. C’est une façon d’être guerrier.
Je suis curieuse de savoir quelle personne tu as choisie pour le prochain portrait d’artiste de la Mauricie. Qui désignes-tu pour aller donner des fleurs ?
Patrick Boivin, qui est musicien, bassiste, avec Florent Vollant et d’autres groupes. Il est toujours là, il vient de ma communauté [de Wemotaci]. Ça fait des années qu’il joue, qu’il fait des tournées avec des groupes. C’est une personne que je respecte beaucoup. J’ai peut-être eu la chance d’être une ou deux fois sur scène avec lui. En tant que personne aussi, il est très bon, gentil. Il est conseiller présentement au Conseil des Atikamekw de Wemotaci, je ne sais pas s’il va se représenter aux élections.
On le lui souhaite ! Que voudrais-tu lui dire ? Je lui passerai le mot.
Kwei Patrick ! Ça fait longtemps qu’on se connaît. Je t’apprécie beaucoup en tant que personne, mais aussi ta passion pour la musique. Ça m’a inspiré, mais ça peut aussi être un exemple pour d’autres à venir, de rester humble dans tout ça et de rester passionné. Je trouve ça remarquable.