En 2019, Statistiques Canada rapportait que 68 % des Canadiens affirment une affiliation religieuse, bien que cela ne corresponde pas à une pratique active. Au tournant des années 2000, un regain d’intérêt pour des démarches spirituelles éclectiques a émergé, tout en interrogeant notre position face à la religion, inscrite comme une liberté fondamentale dans nos chartes. Dans ce nouvel épisode de La tête dans les nuances, l’animateur Robert Aubin discute avec les prêtres Marc Lahaie et Claude Lacaille ainsi qu’avec le journaliste François Gloutnay à savoir : que doit faire l’Église catholique au Québec pour éviter d’être condamnée à une décroissance ?
La pratique religieuse centrée sur la liturgie
Les témoignages recueillis dans l’épisode montrent bien que l’évolution de l’Église catholique au Québec suscite de profondes interrogations sur sa liturgie et sa capacité à perdurer. La liturgie, qui représente le cadre rituel et cérémoniel de la pratique chrétienne, est particulièrement ancrée dans le modèle québécois, caractérisé par des célébrations orientées vers des rites traditionnels, des chants liturgiques et une structure hiérarchique.
Les institutions religieuses, qui ont longtemps encadré la pratique chrétienne, se heurtent aujourd’hui à une réalité nouvelle et désarmante : des églises et des couvents ferment à un rythme alarmant, environ trois par mois selon le journaliste spécialisé en questions religieuses François Gloutnay. En plus des lieux de culte, les congrégations religieuses vieillissent sans relève ; leurs membres ont en moyenne plus de 85 ans.
Cette crise de la liturgie québécoise est d’autant plus marquée que d’autres modèles existent ailleurs dans le monde. Par exemple, certaines communautés chrétiennes adoptent des formes de liturgie plus contemporaines et inclusives, intégrant des éléments culturels locaux et des styles musicaux variés, ce qui attire des fidèles plus jeunes. Ces approches mettent en avant l’interaction, la participation active et une spiritualité moins centrée sur les rituels traditionnels.
Le contexte antireligion présent au Québec
Dans ce contexte de déclin institutionnel, le Québec fait face à une montée croissante d’anti-religiosité, toutes religions confondues. À titre d’illustration, dans les discussions entourant le dossier de l’École Bedfort, à Montréal, le débat sur le financement des écoles religieuses refait surface dans les médias. Cette tendance peut s’accompagner d’une méfiance envers la religion en général, souvent perçue comme un frein à l’avancement de la société. Marc Lahaie note d’ailleurs que cette défiance pourrait laisser des espaces ouverts à des courants plus radicaux ou identitaires, non seulement en politique mais aussi au sein même de la jeunesse ; « les jeunes connaissent maintenant la religion par la porte d’en arrière », affirme-t-il. Ce manque d’encadrement pourrait conduire à des dérives selon lui.
Le nouveau contact des jeunes avec l’Église catholique
Malgré cet éloignement apparent, certains jeunes Québécois reviennent vers l’Église, mais dans un contexte différent, teinté de crises sociétales. Ces crises semblent les pousser à rechercher des valeurs stables, voire à adopter une vision plus stricte de la foi. À l’international, des mouvements religieux influencent cette génération, qui trouve dans certaines interprétations de la religion une réponse à un monde en crise. Toutefois, ce retour s’accompagne parfois de positions radicales ou identitaires, ce qui inquiète les observateur-trices, d’autant plus dans un contexte où les structures catholiques traditionnelles s’affaiblissent. La société québécoise observe ainsi un paradoxe : la jeunesse est attirée par des valeurs de foi, mais sans pour autant trouver un encadrement solide et formateur dans une Église qui, pour se moderniser, dépend d’un souffle renouvelé.
Présentations
François Gloutnay est un journaliste québécois spécialisé en religion, dont la carrière a débuté dans les années 1980. Il a travaillé pour la Conférence religieuse canadienne et Développement et Paix, avant de devenir rédacteur en chef du journal Le Présent. Aujourd’hui, il collabore avec Présence – information religieuse, où il couvre l’actualité religieuse au Québec et au Canada. Son expertise porte sur les relations entre religion et société, avec un accent sur l’Église catholique.
« En 2003, vous en aviez 2751 églises qui avaient été répertoriées, toutes créées et bâties avant 1975, et là vous en avez 800 de moins. Elles ont été carrément détruites ou vendues, ou transformées avec une nouvelle vocation. L’Église est rendue, en tout cas au Québec, à un tournant assez déprimant d’une certaine manière. Parce que c’est devenu une décroissance, mais accélérée, qu’on observe là depuis 20 ans et davantage depuis la pandémie. »
Claude Lacaille est prêtre séculier depuis 1962 et auteur originaire de Trois-Rivières. Il a passé plusieurs années en mission à l’étranger, notamment en Haïti, au Chili et en Équateur, travaillant auprès des plus démunis. Il est l’auteur de Rebelle et missionnaire et Affronter la bête – 40 ans en mission au Québec, où il dénonce les injustices sociales et l’oppression. Militant pour une Église engagée aux côtés des opprimés, il prône la solidarité et la justice sociale à travers son témoignage et ses écrits.
« Après le concile, on a fait la réforme de la liturgie, on a viré l’autel de bord, on a mis le prêtre en face des gens, on a mis tous nos efforts sur le culte, et on a mis tous nos efforts sur l’enseignement de la catéchèse pour les sacrements des enfants. En Amérique latine, ils ont opté pour l’option préférentielle pour les pauvres. Ici on est encore centré beaucoup sur le culte, à savoir combien de gens vont à l’église, combien de gens vont aux sacrements. Jésus n’a pas fondé une religion ; il a simplement demandé qu’on se mette au service des pauvres et des petits. Et c’est ça le virage qu’il faut faire.»
Marc Lahaie, prêtre originaire de Trois-Rivières, a consacré sa vie à l’engagement pastoral, en se distinguant par son accompagnement des personnes en difficulté et des communautés vulnérables. Après son ordination, il a œuvré dans plusieurs paroisses de la région tout en s’impliquant dans des initiatives sociales, notamment auprès des jeunes et des sans-abris. Il est reconnu pour son approche centrée sur l’humain, combinant spiritualité et actions concrètes en faveur de la justice sociale.
« Quand je me présente, souvent je dis pas que je suis prêtre, je dis que je suis intervenant social parce que c’est comme ça que je vois mon rôle de prêtre. Et dans mon temps, les gens pensent que quand la messe est finie, que j’ai fini de travailler. Mais pourtant, sur mon 80 h semaine, il y avait peut-être un 10 h par semaine au niveau des célébrations. »